L’état veut légiférer – la CGI s’y oppose

20 octobre 2020
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Au mois de juin 2020, les deux Chambres fédérales ont voté une motion visant à faire en sorte que le Conseil fédéral propose un dispositif afin que les loyers des locaux commerciaux ayant dû fermer leurs portes au public – en raison de l’interdiction d’ouvrir prononcée par les ordonnances COVID – n’aient à verser que 40% de leur loyer à leur bailleur durant la période de fermeture.

Ce projet porte sur les loyers de moins de CHF 20’000.–. Pour les loyers entre CHF 15’000.– et CHF 20’000.–, l’une ou l’autre des parties au contrat peut renoncer à son application. Enfin, un pan de cette loi porte sur les établissements de santé, et un dernier sur une aide financière de 20 millions de francs, à disposition des bailleurs en difficulté.

Ces motions ont été adoptées par les Chambres ensuite de quoi le Conseil fédéral a dû mettre sur pied un projet de loi, sur lequel la Chambre genevoise immobilière a été sollicitée pour faire part de sa position.

De nombreux accords ont déjà été trouvés entre bailleurs et locataires

À Genève, différents accords ont été élaborés, liant la Chambre genevoise immobilière, l’USPI Genève, l’ASLOCA et l’État de Genève, afin de faciliter les démarches entre bailleurs et locataires. Deux types d’accords ont été établis, soit en premier lieu les accords VESTA I, qui ont porté sur les loyers des locaux commerciaux de moins de CHF 3’500.– par mois, pour les loyers d’avril, puis les loyers de mai. Ces accords visaient à faire en sorte que le propriétaire qui renoncerait à tout ou partie du loyer reçoive une compensation de l’État à hauteur de la moitié du montant concédé.

Dans un second temps, l’accord VESTA II a été négocié entre les mêmes acteurs, lequel concernait plus particulièrement les locaux commerciaux ayant dû fermer leurs portes au-delà du 27 avril 2020, et dont les locataires s’étaient acquittés du loyer du mois d’avril. Dans ce cas, le bailleur pouvait renoncer au loyer de mai et l’État lui versait le loyer de juin à la place du locataire. Cet accord portait sur les loyers allant jusqu’à CHF 7’000.–, voire CHF 10’000.– pour les restaurants, tearooms et autres établissements de ce type, mais en prenant en compte un loyer plafonné à hauteur de CHF 7’000.–.

«Une prise de position a donc été transmise au mois de juillet dernier, laquelle s’oppose naturellement très vigoureusement à ce projet de loi.» notamment pour les raisons suivantes:

Ces accords ont tous remporté un franc succès: l’accord VESTA I (pour le mois d’avril) a permis l’exonération de plus de CHF 1’800’000.– de loyers et obtenu plus de 87% d’adhésion auprès des bailleurs sollicités; l’accord VESTA I bis (pour le mois de mai) a permis l’exonération de plus de CHF 900’000.– de loyers et obtenu l’adhésion de plus de 88% des bailleurs; enfin, l’accord VESTA II a permis l’exonération de plus de CHF 1’088’000.– et remporté l’adhésion de 81,1% des bailleurs.

À noter que les accords trouvés en dehors de ces cadres ont été encore plus nombreux et ont permis l’exonération de CHF 6’269’687.– à Genève.

Le montant total d’exonération de loyers pour le canton de Genève s’élève donc, au minimum à CHF 10’080’770.–, ce qui est considérable.

Dans les cantons voisins, d’autres accords ont aussi été négociés et d’importantes exonérations s’en sont suivies.

Au vu de ce qui précède, il est clair qu’une ingérence dans le droit privé – que le Conseil fédéral souhaite au demeurant aussi éviter – n’est pas nécessaire et pourrait même être dommageable.

Ce projet de loi ne tient pas compte des cas particuliers

«Ce projet de loi vise tous les locataires et tous les bailleurs de locaux commerciaux ayant dû fermer, sans distinction entre eux, ce qui n’est pas satisfaisant.»

Bien entendu, un grand nombre de locataires commerciaux ont souffert de l’obligation de fermer. Toutefois, d’autres en ont aussi bénéficié. En effet, il y a des sociétés locataires de locaux commerciaux qui ont dû fermer du fait de l’interdiction prononcée par les ordonnances COVID-19 mais qui d’autre part ont réalisé de très conséquentes recettes par le biais de la vente par correspondance, notamment. Cela n’est aucunement pris en considération.

D’un autre côté, il y a aussi des bailleurs qui doivent vivre de leurs rendements locatifs, d’autres qui doivent servir des rentes et qui ne peuvent se permettre de renoncer à 60% de leurs loyers pour les locaux visés.

Enfin, un certain nombre de locataires commerciaux ont pu bénéficier d’un crédit COVID-19 dont le but était précisément de les aider à assumer leurs charges, leurs factures, dont fait partie leur loyer qui, au moment de l’octroi desdits crédits, devait être intégralement versé au bailleur. Dès lors, si en plus ces locataires se voient exonérer d’une partie conséquente de leur loyer, deux mesures d’aide s’additionnent pour le même but.

En résumé, ce projet de loi ne permet aucunement de tenir compte de ces spécificités, ce qui n’est pas acceptable.

Les charges qui reposent sur les bailleurs restent inchangées

Les bailleurs ont des charges importantes sur leurs biens, qui sont majoritairement les suivantes: intérêts hypothécaires ou autres intérêts dus à des tiers, amortissement de la dette, taxes, charges courantes (primes d’assurance, contrats d’entretien ou de maintenance des installations, rémunération du concierge ou d’une entreprise de nettoyage, eau, électricité, éventuels honoraires de gérance) et charges d’entretien, soit les coûts rendus nécessaires pour maintenir ou rénover le bien loué.

Les bailleurs ont bien entendu dû continuer à assumer toutes ces charges durant la période COVID-19. L’impôt sur la fortune calculé sur les loyers théoriques, même non encaissés, sera en outre quand même perçu, ce qui est parfaitement inique.

Ainsi, et même si la majorité des bailleurs ne pourra pas répondre au critère de la détresse économique prévu par le projet de loi au point de pouvoir obtenir une aide, ils subiront malgré tout un manco important de loyers pour faire face à leurs charges et devront puiser dans leurs réserves, ce qui n’est pas acceptable.

À noter encore que cela va créer une distorsion de la concurrence entre les commerçants propriétaires devant continuer à payer leurs charges et les commerçants locataires, pouvant ainsi bénéficier de la loi, si elle est adoptée.

Il n’y a aucun défaut de la chose louée

D’un strict point de vue juridique, sous l’angle du droit du bail, cette situation n’entraine aucunement un défaut de la chose louée, dans la mesure où la fermeture ne vise pas le bien loué, mais le commerce du locataire. Dès lors, il ne fait aucun sens de faire reposer le poids de cette fermeture sur les bailleurs.

Si, bien entendu, nous ne sous-estimons pas l’impact que l’obligation de fermer leurs portes au public a eu sur un grand nombre de commerçants, nous estimons que la réglementation visée par la présente consultation est inutile, et aucunement propre à atteindre les buts économiques qu’elle se donne, bien au contraire.

Pour toutes ces raisons, la Chambre genevoise immobilière est vivement opposée à ce projet qui constitue une ingérence dans le droit privé, laquelle est inéquitable et causera des difficultés importantes aux bailleurs, partant, à l’économie du pays.

Ce projet de loi sera traité par les Commissions parlementaires à cette session d’automne et reviendra certainement dans la plénière de l’Assemblée fédérale en décembre 2020. À noter encore que le Conseil fédéral est lui aussi opposé à cette loi et qu’il invite les Chambres fédérales à ne pas la voter.

Dans l’intervalle, notre lobbying ne faiblira pas et nous mettrons tout en œuvre pour faire admettre que ce projet de loi est inopportun.

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