Non à une initiative rigide, inefficace et étatiste

14 janvier 2020
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Le peuple et les cantons suisses voteront le 9 février 2020 sur une initiative extrême sur le logement déposée par l’ASLOCA. Celle-ci veut introduire des quotas rigides dans la Constitution fédérale et restreindre les droits de la propriété. Pour rappel, le Conseil national et le Conseil des États ont décidé en mars 2019 de recommander au peuple et aux cantons de rejeter cette initiative inefficace, coûteuse et porteuse d’incertitudes.

L’initiative proposée constitue une menace non seulement pour les contribuables et les propriétaires, mais aussi pour bon nombre de locataires. Elle aura pour principale conséquence de déstabiliser le marché du logement. Cela n’est pas dans l’intérêt général.

L’initiative en deux mots

L’initiative extrême sur le logement réclame trois modifications de la Constitution fédérale :

  • 10% au moins des logements nouvellement construits à l’échelle de la Suisse doivent appartenir à des maîtres d’ouvrage d’utilité publique ;
  • Introduction d’un droit de préemption des Cantons et Communes sur les terrains bâtis et non-bâtis qu’ils estiment adaptés à la construction de logements d’utilité publique ;
  • Les rénovations énergétiques ne peuvent être soutenues par la Confédération, les cantons et les communes que si le nombre total de logements à loyer modéré en Suisse reste inchangé.

Toutes ces ingérences étatiques nouvelles sont contraires aux droits de la propriété et à la liberté contractuelle. Sur le plan pratique, l’instauration d’un quota contraignant et applicable en tout temps à l’échelle de la Suisse, indépendamment de la conjoncture économique et des réalités locales, ne garantit en rien que les logements devant être construits par les maîtres d’ouvrage d’utilité publique le soient dans les régions et durant les périodes où les besoins sont vraiment avérés. Les besoins ne sont pas les mêmes à Genève que dans le canton de Glaris.

Une initiative fédérale inadaptée aux problématiques locales

La situation du marché du logement varie d’une région à l’autre. Sachant qu’un maître d’ouvrage d’utilité publique est défini par la loi fédérale sur le logement comme une entité sans but lucratif, il faut considérer qu’il s’agit des collectivités publiques qui réalisent et mettent à disposition des logements (cantons, communes, fondations de droit public) et certaines coopératives d’habitation. À Genève, nous considérons que ces entités réalisent, déjà 20% à 25% des logements neufs.

Il s’agit d’une étatisation du sol sans précédent, qui est coûteuse et modérément efficace pour venir en aide à ceux qui en ont le plus besoin.

Le logement est incontestablement un bien particulier. C’est pourquoi il existe, outre la réglementation sur l’aménagement du territoire, différents dispositifs cantonaux et communaux visant à réglementer le marché du logement. Il n’est ni nécessaire, ni opportun d’ajouter aux réglementations existantes un carcan fédéral, en particulier à Genève.

Impôts, administration, emplois : les conséquences du texte

L’initiative conduirait à un énorme travail bureaucratique dès lors qu’il faudrait définir de façon uniforme en Suisse la notion de logement d’utilité publique et vérifier périodiquement que le quota de 10% est bien respecté. Si ce n’est pas le cas, des mesures correctrices devront être prises.

Le processus d’octroi des permis de construire deviendra ainsi encore plus lent et compliqué. En cas d’acceptation, personne ne sait comment l’initiative serait mise en œuvre, ce qui génèrerait une longue période d’incertitudes, dont pâtiraient notamment le secteur de la construction et les emplois qui y sont liés. En effet, la Confédération et les Cantons devraient mener des discussions interminables en vue d’élaborer notamment un système de réparation géographique des logements concernés.

En revanche, ce que l’on sait déjà, c’est que l’application du quota de 10% coûterait chaque année au moins 120 millions de francs aux contribuables.

Cette estimation officielle n’intègre pas les coûts induits par les nouveaux contrôles administratifs à mettre en place en vue d’assurer l’application de l’initiative. Dans l’hypothèse où les maîtres d’ouvrage d’utilité publique ne parviendraient pas à construire suffisamment de logements pour respecter le quota de 10%, la Confédération, les cantons et les communes auraient l’obligation de se substituer à eux en construisant eux-mêmes de tels logements.

Et tout cela une nouvelle fois aux frais des contribuables, qui seront immédiatement confrontés à des hausses d’impôts.

Une initiative contreproductive sur le plan énergétique

Dans un second volet, l’initiative traite également de la question environnementale en prétendant encourager les rénovations énergétiques. La méthode choisie n’est pourtant pas la bonne et aura, en cas d’acceptation, exactement l’effet inverse.

Le texte vise à limiter encore plus drastiquement qu’aujourd’hui les répercussions possibles sur les loyers des investissements générant des économies d’énergies. Il s’agirait, dans l’esprit des initiants de forcer, à l’aide de nouvelles lois environnementales, les propriétaires à investir sans pouvoir en retirer un rendement équitable. L’économie immobilière serait mise à mal mais aussi les retraites puisque nombre de caisses de pensions ont besoin de rendements équitables (définis chaque année par le Conseil Fédéral) pour prester le versement des rentes.

En cas d’acceptation, l’initiative aurait donc l’effet pervers de limiter, dans les faits, les travaux qui économisent l’énergie. La rénovation énergétique doit être intensifiée, encouragée et équitable, mais certainement pas contrainte, ni injuste.

Répartition et attribution des logements inique

L’initiative ne garantit pas la bonne affectation des finances publiques pour favoriser le logement à bon marché.

Elle veut essaimer des fonds publics sans contrôle des objectifs recherchés.

Seuls quelques maîtres d’ouvrage d’utilité publique appliquent des taux d’effort (contrôle du revenu) et des taux d’occupation (contrôle du nombre d’occupants), alors même que, sans parler de subventions directes, ces maîtres d’ouvrages sont soit directement financés par des fonds publics, soit bénéficiaires d’avantages octroyés par l’État (attribution de terrains à prix favorables, aides administratives, exonérations fiscales, cautionnement de l’État).

Pourtant, les logements mis à disposition par les maîtres d’ouvrage œuvrant à la construction de logements d’utilité publique sont destinés aux « personnes économiquement ou socialement défavorisées ». C’est ce qui est prévu à l’article 10 de la loi fédérale sur le logement.

Dans la pratique, cette règle est appliquée de façon très critiquable par les coopératives d’habitation, les logements n’étant de loin pas toujours attribués sur la base de critères clairement définis. Les contestations au sein même des milieux des coopérateurs sont nombreuses à ce sujet.

Selon l’Enquête suisse sur la population active (ESPA) de l’année 2017 :

  • 10% des occupants des logements mis à disposition par les coopératives d’habitation ont un revenu qui les classe parmi les 20% les plus aisés de la population ;
  • 25% se classent parmi les 40% les plus aisés de la population ;
  • un quart seulement des occupants des logements concernés font partie des 20% les moins aisés de la population, alors que c’est cette frange-là des habitantes et des habitants de notre pays qui aurait le plus besoin d’un logement à loyer modéré.

Il importe de conserver sur le marché du logement une diversité concernant la provenance de l’offre (bailleurs privés, bailleurs institutionnels, etc.). Il en va de même pour la demande.

Aujourd’hui, des milliers de familles genevoises souhaitent devenir propriétaires mais sont contraintes de quitter le canton pour le devenir, Genève construisant massivement des logements subventionnés ces dernières années.

En 2018, l’on n’a construit sur le territoire genevois que 17% de propriétés par étages.

Cette production est rationnée par la politique du logement actuelle. C’est une préoccupation majeure de voir des milliers de familles de la classe moyenne ne pas pouvoir accéder à la propriété à cause d’un barrage politique qui leur est idéologiquement opposé. En qualité de propriétaires, nous devons nous fédérer contre ce type d’initiative visant l’étatisation au détriment de la propriété privée.

Pour toutes ces raisons nous vous invitons à voter et à faire voter NON le 9 février prochain.

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