La profonde mue du Musée d’ethnographie de Genève

14 janvier 2020
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Quand on flâne sur le boulevard Carl-Vogt, qui longe l’Arve dans le quartier de la Jonction, on ne peut pas passer à côté d’une vaste toiture triangulaire qui abrite le nouveau hall d’accès au Musée d’ethnographie, dont les volumes s’étendent sur 7000 mètres carrés. L’ancien bâtiment a été préservé pour accueillir les activités scientifiques et administratives de l’établissement. Le mariage entre l’ancien et le moderne s’avère étonnant.

Après avoir élu domicile en différents lieux de la ville, le Musée d’ethnographie de Genève s’est installé en 1941 dans l’ancienne école du quartier des Bains. Pendant longtemps, quand les enfants déambulaient sur le trottoir du boulevard Carl-Vogt devant les grilles de la cour d’école, leurs yeux brillaient en apercevant, fascinés, les totems amérindiens polychromes dressés tout droit vers le ciel. Cela les transportait immédiatement outre-Atlantique, au coeur des grandes plaines désertiques du Far West et à l’époque de la ruée vers l’or. Ils s’imaginaient alors être les acteurs des épiques chevauchées des indiens et des cow-boys lancés à la poursuite des mythiques convois tirés par des diligences et d’antiques locomotives à vapeur. Mais la réalité genevoise les ramenait vite sur terre.

L’ancienne école de la rue des Maraîchers

Fondé par l’anthropologue Eugène Pittard en 1901, le Musée d’ethnographie de Genève s’installa tout d’abord dans la villa Plantamour, dans le parc Mon-Repos. Il déménagea en 1939 dans les salles alors libres de l’école de la rue des Maraîchers, désaffectée pour raison d’insalubrité, et y fut inauguré en 1941. Cet ancien bâtiment longiligne érigé à la fin du XIXe siècle est situé à l’arrière de la cour d’école qui donne sur le boulevard Carl-Vogt. Dans sa fonction première d’établissement scolaire, son accès principal se faisait pourtant par la rue des Maraîchers.

Une ancienne école © Maurane di Matteo

On peut encore voir les inscriptions gravées au dessus du fronton de la porte principale et des deux portes latérales. L’école a été construite par Louis Étienne Poncy, un architecte élevé à l’ombre du célèbre groupe de bâtisseurs genevois Camoletti qui a commencé par acquérir les rudiments de son métier comme apprenti avant de suivre des cours du soir aux Beaux-Arts et à l’École industrielle de Genève.

Sur le plan architectural, le bâtiment de l’ancienne école de la rue des Maraîchers s’inscrit dans le contexte de l’essor de la démographie du quartier. Il déploie ses deux ailes sur deux niveaux, plus les combles, situés de part et d’autre d’un corps de bâtiment central qui sert d’interface entre l’extérieur et l’intérieur du bâtiment.

Bibliothèque du MEG © Maurane Di Matteo

La notoriété croissante du musée s’avéra particulièrement critique au tournant du siècle, raison pour laquelle la Ville de Genève lança un projet visant à reconstruire le musée à la place Sturm, dans le quartier de Champel. Cette option fut abandonnée en 2001 face à la réticence des Genevois. La Ville lança un nouveau concours d’architecture en vue de maintenir le musée sur son site historique et d’y adjoindre une extension.

Une extension qui libère de la place au sein du MEG

Les travaux de construction du nouveau Musée d’ethnographie commencèrent en 2010 et furent inaugurés fin octobre 2014. Le bâtiment s’étend en sous-sol sur les 7000 mètres de surface d’exposition. Le hall d’entrée situé au rez-de-chaussée du musée est particulièrement étonnant. On a l’impression de pénétrer dans une véritable cathédrale dont le modernisme est saisissant. Malgré la construction des nouveaux locaux du musée, l’ancienne école de la rue des Maraîchers n’a pas perdu son utilité.

Le directeur y dispose, tout comme ses collaborateurs, d’un bureau aménagé dans une ancienne salle de classe.

Les travaux de rénovation englobaient le cloisonnement de certaines salles de classe, la pose de fenêtres à double vitrage et la peinture des parois. Les combles ont été vidées et, en partie réaménagées, une véranda a été démolie. La performance énergétique du bâtiment a également été améliorée grâce à la rénovation partielle de son enveloppe. Trois pompes à chaleur air/eau complétées par une chaudière à gaz permettent d’atteindre une couverture des besoins en énergie de 75% pour ce qui est du nouveau bâtiment, lequel répond aux critères du label Minergie.

Une prestigieuse récompense

Grâce à sa capacité d’accueil accrue, le MEG peut déployer des activités variées et multiples articulées autour des grandes thématiques de l’ethnographie moderne. Mais c’est surtout son ouverture vers l’extérieur qui fait la grande fierté du MEG, qui a reçu en 2017 le Prix du musée européen EMYA (European Museum of the Year Award). Voilà un exemple concret de transition particulièrement réussie avec son environnement et d’évolution fusionnelle d’un musée avec le tissu urbain actuel.

La Ville de Genève a construit un vaste entrepôt centralisé à la Jonction qui accueillera les collections de six institutions genevoises, dont celles du MEG, ce qui représente au total plus de 74 000 objets, 20 000 phonogrammes et 100 000 supports photographiques. Le transfert des objets est achevé, il ne reste plus qu’à finaliser leur mise en place dans leur nouveau havre.

LE FUTUR DU MEG : UN RENOUVEAU BASÉ SUR L’OUVERTURE SUR L’EXTÉRIEUR

Au moment de fêter les 5 ans du nouveau musée d’ethnographie, son directeur Boris Wastiau, anthropologue de formation, ne veut pas se reposer sur ses lauriers et inaugure une ambitieuse phase de renouveau. Il vient de dévoiler le plan stratégique de développement concocté avec son équipe en charge de la gestion. Ce plan inclut le processus de décolonisation, une plateforme multinationale, une politique visant à accroître l’attrait du musée, l’instauration d’un lieu d’inspiration et de création et, enfin, la mise en place d’une plateforme de référence dans le développement durable.

Boris Wastiau © Maurane Di Matteo

Cette mue s’opérera sous la forme d’une approche axée sur les projets qui lui donnera toute sa dynamique et sa capacité novatrice. Intimement lié à l’ancienne école primaire des Maraîchers construite en 1894-95, qui n’abrite désormais plus que son administration et sa gestion, l’ensemble muséal actuel innove tous azimuts.

Depuis sa réouverture, sa fréquentation est passée de 30 000 à 170 000 visiteurs.

Cet essor est en grande partie redevable au nouveau directeur – précédemment conservateur des collections ethnologiques – arrivé à la tête de l’institution muséale en 2010. L’année de sa nomination a coïncidé avec celle de la votation populaire qui entérina la construction du nouveau MEG. Les travaux de construction commencèrent deux ans plus tard et le musée fut rouvert en 2014.

La force du MEG passe par son ouverture sur la cité. « Chaque année, nous travaillons avec plus d’une centaine de partenaires, non seulement avec l’Adem, mais aussi avec le festival Antigel, le théâtre de Saint-Gervais, l’Alhambra, le Centre de la Roseraie et Cap Loisirs » », souligne Boris Wastiau. « Cela représente entre 60 et 70% de nos activités et fait partie de notre ADN ».

Il admet bien volontiers que s’il a reçu le prix EMYA en 2017, ce n’est pas en raison du chapeau pointu qui surmonte la nouvelle aile, mais grâce à l’approche de la dimension muséale et du partenariat engagé avec un aussi grand nombre d’institutions. « Nous évitons les activités de niche, notre approche est largement inclusive », précise-t-il. Le musée produit en effet toutes les expositions du début à la fin, de la conception à la réalisation, y compris la production de nouveaux médias.

LES TRÉSORS DU MEG : LA CONSERVATION DES COLLECTIONS EST DÉTERMINANTE

Carine Ayélé Durand © Maurane Di Matteo

L’équipe chargée de la préservation des objets ayant une valeur ethnographique intervient tant sur le terrain, que dans les locaux des musées.

Dans le cas du musée d’ethnographie, Carine Ayélé Durand précise que la Ville n’accorde pas de budget d’acquisition. C’est donc par le biais de dons, de legs ou de recherches sur le terrain que le MEG enrichit ses collections.

« L’activité de gestion de celles-ci se déroule autour de trois axes », souligne Carine Ayélé Durand, conservatrice en chef du MEG. « Cela consiste à prendre soin des collections, à réaliser des études de l’historique de celles-ci et à s’occuper de leur mise en valeur ».

Mais, selon elle, il s’agit aussi de relier ces ensembles avec les descendants qui ont un lien avec ces anciens objets. « Certaines des communautés sont très actives dans ce domaine ». Il s’agit donc de ne pas couper ce cordon ombilical, aussi ténu soit-il. Dans certains cas, il reste très fort et des artisans locaux perpétuent la tradition des peuplades concernées.

Mais le grand débat actuel concerne la restitution des œuvres. « On est constamment confronté à cette question dès que l’on travaille dans un musée ; cela fait partie de notre quotidien », indique Carine Ayélé Durand, relevant au passage que la Ville a restitué des têtes de Maoris à une époque où cette question n’était pas encore d’une actualité aussi grande que maintenant.

Car cette question reste du ressort des autorités tutélaires, et non du musée lui-même. « Il faut être transparent avec les informations que l’on collecte sur les oeuvres », précise la conservatrice en chef du musée. Il s’agit de juger au cas par cas, et de faire preuve de discernement et de se demander si l’objet sera bien traité par ses nouveaux détenteurs. Cela peut durer des années pour arriver à une solution. « Pour moi, ce n’est pas forcément un problème, mais peut présenter des opportunités », souligne-t-elle. On compare les données qui existent sur ces objets. Dans le contexte d’enrichissement de la valeur d’une collection, cela a un sens et implique une orientation vers la recherche. « On doit se demander si l’on est l’institution qui va le mieux mettre en valeur l’objet ».

L’OUVERTURE DU MEG L’ACCENT PASSE PAR LES SONORITÉS DU MONDE

Fondateur des Ateliers d’ethnomusicologie (Adem) de Genève, Laurent Aubert est la mémoire vivante de l’association qui a pour objectif de faire connaître les musiques du monde et d’offrir aux musiciens et danseurs une plateforme de formation et d’expression dans les différents lieux de la ville, qu’il s’agisse de concerts, de festivals ou de spectacles dédiés aux enfants.

Fabrice Contri & Laurent Aubert © Maurane Di Matteo

Ces activités se déroulent dans le cadre de partenariats, en particulier à l’Alhambra, au temple de Saint-Gervais, au Sud des Alpes et au MEG. Ces ateliers servent aussi de relais aux artistes de passage pour les aider à exprimer leur art en dehors de leurs frontières.

Au total, pas moins de 70 enseignants utilisent les structures de l’Adem pour dispenser des cours. « Nous essayons surtout de leur offrir une audience plus large », indique celui qui travaille comme bénévole pour l’association depuis sa création.

Les locaux de formation et d’expression de celle-ci, situés derrière la gare Cornavin, ont fini par être trop exigus pour répondre à leurs besoins, raison pour laquelle Laurent Aubert a recherché des surfaces plus vastes. Avec la réouverture du MEG dans le quartier de Plainpalais, des surfaces se sont libérées dans une partie de l’aile du bâtiment de l’ancienne école de la rue des Maraîchers. Elles n’étaient pourtant pas beaucoup plus vastes que celles de la rue de Montbrillant, mais la Ville leur a accordé la possibilité de s’approprier les deux sites.

« Nous essayons de diversifier les lieux des manifestations que nous organisons et soutenons et tenons compte des particularités des lieux d’occupation », note Fabrice Contri, directeur et chargé de la programmation des concerts et spectacles. « Mais aussi de surfer sur les grandes tendances dans les concerts, comme c’est actuellement le cas avec des apports venant de Grèce et de grands espaces tels que la Mongolie. »

 

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