Valeurs fiscales : un projet inacceptable contre lequel la CGI est un fer de lance solide
Le 9 septembre 2020, le Conseil d’État a déposé par devant le Grand Conseil le projet de loi (PL) 12773, qui concerne les valeurs fiscales des villas et des appartements, et le PL 12774, qui concerne les domaines ruraux. Ce dernier projet ne change rien à la méthode d’évaluation fondée sur les rendements fixés par le droit foncier rural. Les valeurs fiscales des domaines ruraux ne devraient donc pas changer. En revanche, le PL 12773 est, de l’aveu même du Conseil d’État, porteur de hausses fiscales insupportables.
C’est à un point tel qu’il a été obligé d’introduire des mesures compensatoires afin d’en limiter les effets ! La CGI, épaulée par les spécialistes de sa commission fiscale, est le fer de lance susceptible d’influencer le cynique dessein du Conseil d’État de ponctionner encore plus les propriétaires en tentant de masquer une crise structurelle, non maîtrisée, des dépenses publiques.
Une nouvelle méthode d’évaluation
Le projet comprend, en premier lieu, une nouvelle méthode d’évaluation des villas et des appartements pour en déterminer la valeur fiscale, base de l’imposition de l’impôt sur la fortune et de celle de l’impôt immobilier complémentaire. Il s’agirait de se baser sur un relevé statistique des transactions de terrains pour déterminer ensuite, selon la situation précise des parcelles, une valeur de terrain. À celle-ci s’ajouterait la valeur d’assurance incendie du bâtiment. Il en résulte, à ce stade, de très fortes hausses de valeurs et, donc, des augmentations d’impôts massives.
Nous considérons cette approche comme erronée. En effet, la loi d’harmonisation fiscale (LHID) prévoit que les immeubles sont estimés. Ainsi, il est faux de faire correspondre la valeur fiscale avec une valeur « spot marché » d’un bien librement négocié de façon volontaire. Au contraire, il s’agit que la loi prenne en considération la vétusté, l’occupation de son logement par son propriétaire et sa famille – ce qui ne le rend pas libre à la vente – et l’incitation constitutionnelle à la propriété de son logement.
Ces notions devront être traduites par le biais d’amendements au projet de loi pour que celui-ci soit conforme au droit supérieur. En l’état, le principe de la capacité contributive n’est pas respecté. Une appréhension correcte de l’estimation des logements en propriété devrait déboucher sur des valeurs plus conformes à une estimation fiscale conforme.
Des mesures de compensation
Tributaire d’une méthode d’évaluation qui débouche sur des valeurs trop élevées car mal estimées, le Conseil d’État a considéré « l’impact très important de la réévaluation du parc immobilier, principalement pour les biens occupés de longue date… » et il a été contraint de prémunir les propriétaires les plus touchés afin de ne pas les obliger à vendre leur logement face à des hausses fiscales impossibles à assumer.
1 Une déduction sociale
L’idée, mal définie dans le projet de loi, est de limiter la hausse fiscale induite par la nouvelle valeur fiscale du logement du propriétaire, à 1% du revenu brut jusqu’à CHF 100 000 de fortune imposable, à 7% à partir de CHF 350 000, tandis que ce pourcentage évolue de manière linéaire entre CHF 100 000 et CHF 350 000.
Nous préconisons, alternativement et en premier lieu, une diminution de l’impôt immobilier complémentaire pour les propriétaires dont le logement concerné est leur résidence principale. Il s’agit de la mesure la mieux ciblée.
Si, ensuite des corrections apportées, il était encore nécessaire de prémunir les propriétaires contre des hausses massives d’impôts, nous soutiendrons évidemment cette solution. En revanche, nous préconiserons qu’elle ne soit pas limitée à 15 ans, notamment parce que les propriétaires plus âgés de 15 ans seront d’autant plus faibles et donc susceptibles d’être protégés. En outre, les conditions d’éligibilité à cette déduction devront exister en tout temps, et non pas uniquement pendant la période fiscale suivant l’entrée en vigueur de la loi, ce qui serait porteur d’inégalités de traitement crasses.
2 Une diminution du taux de l’impôt sur la fortune
En lien avec la nouvelle évaluation des immeubles, il est proposé une diminution du taux d’imposition – le plus élevé de Suisse – de 15%. Une diminution de l’impôt sur la fortune est évidemment appelée des voeux de la CGI.
La diminution du taux de l’impôt sur la fortune n’est malheureusement qu’un leurre au niveau de la perception. Elle ne génère, in fine, qu’une diminution de 8 millions de francs dont ne bénéficieraient que quelques contribuables, non propriétaires (p. 170 de l’exposé des motifs). La hausse de perception d’impôt se révèle donc plus de 10 fois supérieure à la faible baisse qui résulte de cette opération.
3 Une hausse de l’impôt sur les bénéfices et gains immobiliers
Après deux mesures qui réduisent la charge fiscale induite par ces modifications, le Conseil d’État, dans une démarche dont la cohérence nous échappe, souhaite voir une augmentation de l’IBGI. Ainsi, le taux de cet impôt serait porté à 10% après 10 ans, en lieu et place d’un taux de 0% après 25 ans. Le saut apparaît comme gigantesque de passer après 25 ans de 0 à 10%. Cet impôt a été conçu, dans l’esprit de ses défenseurs, pour limiter la spéculation immobilière. Il a été admis depuis de très nombreuses années que son taux devait être de 0 après 25 ans de détention, tant il est vrai que toute forme de spéculation n’est plus imaginable après un laps de temps aussi long. La hausse proposée est donc injustifiable.
Conclusions
Genève connaît une crise des dépenses sans précédent. L’État doit prendre les mesures d’assainissements et d’économies qui s’imposent et ne plus compter sur d’énièmes hausses fiscales devenues insupportables. Il est invraisemblable de se tourner vers les personnes physiques, propriétaires de leurs logements, car la ressource fiscale est épuisée.
Nous avons été auditionnés le 12 janvier 2021 par devant la Commission fiscale du Grand Conseil saisie de cet objet et nous avons détaillé l’ensemble des correctifs à apporter. Nous avons, en outre, indiqué que la CGI conçoit que l’État établisse une nouvelle méthode d’évaluation des appartements et des villas mais qu’elle s’opposera, avec la plus grande détermination, à ce que cela soit pris comme prétexte pour alourdir la charge fiscale.
Une ponction fiscale de plus de CHF 225 millions supplémentaires :
• impôt cantonal sur la fortune hors impôt communal CHF 100,4 millions (nets en cas de baisse du taux) ;
• impôt communal – notre estimation – plus de CHF 42 millions ;
• impôt immobilier complémentaire CHF 33 millions ;
• impôt sur les bénéfices et gains immobiliers CHF 50 millions.
Cette ponction est temporairement ramenée à 90 millions en raison des mesures d’accompagnement limitées à 15 ans au maximum.