La maison des paons : un joyau de l’Art nouveau

22 septembre 2019
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Les témoins vivants des chefs-d’œuvre architecturaux sont rares à avoir traversé les siècles sans encombre. C’est le destin de la maison des paons, qui a failli être démolie dans les années 60 pour faire place à un bâtiment plus fonctionnel, mais ne présentant pas un réel intérêt sur le plan artistique. Cet immeuble, qui a subi trois campagnes de rénovation successives, reste un exemple marquant des efforts déployés par les amateurs d’art pour laisser des témoins architecturaux de qualité à la postérité.

 

Au détour de la rue Pictet-de-Rochemont, les esprits curieux et amoureux des belles pierres peuvent apercevoir un véritable trésor architectural en parcourant du regard les détails des façades qui bordent la chaussée, notamment en s’arrêtant sur la maison des paons, dont l’architecture de style Art nouveau très particulier ne peut qu’attirer l’attention. L’édifice tire son nom des deux volatiles sculptés dans le pur style de l’époque dans l’entrée des deux tourelles qui forment les angles du bâtiment donnant sur cette rue très fréquentée. Le toit est recouvert de tuiles vernissées qui le font briller aux moindres rayons du soleil. Les balustrades en fer forgé des balcons et des fenêtres sont autant d’œuvres d’art d’une parfaite facture qui se fondent dans le reste des éléments architecturaux de la façade.

 

Un chef-d’œuvre vivant

 

 

Construit entre 1902 et 1903 par les architectes Eugène Cavalli et Ami Golay, l’immeuble frappe par son style Art nouveau qui traversa toute l’Europe au début du XXe siècle, même si certains spécialistes émettent des critiques en jugeant que l’aspect artistique de sa façade est apposé sur un édifice d’architecture classique. De ce point de vue, les architectes ont, semble-t-il, voulu lui donner une touche personnalisée spécifique de l’esprit helvétique.

 

La maison des paons se démarque des autres immeubles plus marquants de l’époque Art nouveau érigés dans les grandes capitales de cet art. Elle a comme pendant la maison du Pan – appellation donnée comme par malin clin d’œil à la bâtisse qui lui fait face – également construite par les mêmes architectes dans le même état d’esprit, mais à l’architecture et aux embellissements plus sobres.

 

Réalisées à l’origine par l’artiste Emilio Domenico Fasanino, les sculptures ornant les façades de la maison des paons ont fait l’objet d’un minutieux travail de restauration.

 

Un charme incontestable

 

 

La structure de la maison des paons est à caractère mixte : on y trouve des locaux à vocation commerciale au rez-de-chaussée, ouverts sur 15 arcades réparties sur ses trois faces, qui ont été surmontées à l’origine par des locaux commerciaux au piano nobile (le bel étage) ainsi que par quatre étages de trois appartements chacun.

 

En jetant un coup d’œil aux plans d’origine des appartements, on constate que, si les deux appartements d’angle (de 133 et 136 mètres carrés) possèdent chacun une salle de bains, le troisième, plus petit, ne comporte qu’un cabinet de toilette. L’entrée des arcades commerciales s’effectue par les angles à faces coupées à 45° du pâté de maisons, formant une sorte de tourelle qui sert d’embase aux deux flèches de l’immeuble. De nombreux décors sculptés embellissent les balcons et les encadrements de fenêtres.

 

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La magnificence du bâtiment frappe aussi le regard dès que l’on pénètre dans son entrée. Restaurés dans le style de l’époque, les décors peints par Jean-Louis Casimir Bon sur les parois du vestibule, du hall d’entrée et de la cage d’escalier ont conservé la délicatesse de leur tonalité. Ils remplacent un ancien papier peint qui avait été arraché lors d’une précédente rénovation.

 

En fer forgé, les balustrades des escaliers qui desservent les étages ont été réalisées dans le pur esprit de l’Art nouveau. Ces nombreuses qualités architecturales ont permis à la maison des paons d’être reconnue et inscrite à l’inventaire du patrimoine de l’Etat de Genève en 1986.

 

Habib Sayah
Architecte de la dernière rénovation

 

Habib Sayah – © Magali Girardin

 

Avec son confrère Jean-Yves Ravier, architecte chargé de la dernière rénovation de la maison des paons, il a eu la lourde charge, de 2012 à 2014, de redonner tout son lustre d’antan à cette magnifique bâtisse. « La pierre avait été rongée par les affres du temps et la pollution, il a dès lors fallu enlever une couche d’environ 4 à 5 cm aux blocs de pierre du Gard qui forment les façades », précise Habib Sayah, qui a suivi des études d’architecture du patrimoine à l’EPFL.

 

Les travaux ont touché les façades et une partie des arcades, mais pas la toiture, qui était encore en bon état. Il a fallu re-sculpter les paons et nettoyer les façades en pierre du Gard assez tendre par hydrogommage, mais aussi intervenir sur les berceaux du toit et les lambrequins.

 

Sous la gouverne des deux architectes, et grâce à l’intervention des spécialistes de la restauration des bâtiments anciens, la maison des paons est redevenue l’un des plus beaux immeubles de style Art nouveau de Genève, le tout en étroite collaboration avec l’Office du patrimoine et des sites (OPS) du canton, qui a très bien compris l’enjeu de cette restauration. Celle-ci a été réalisée dans une optique moderne de la restauration des bâtiments afin de préserver l’existant dans une perspective fonctionnelle.

 

« Dans une rénovation, il faut faire des compromis, mais ce n’est pas grave, l’essentiel étant de conserver ce qui est important », prône Habib Sayah. Le corridor d’entrée du bâtiment et les escaliers desservant les étages ont fait l’objet d’une restauration toute en finesse et en douceur, dans l’esprit de l’époque de la construction.

 

Il s’agissait également d’intégrer le bâtiment dans son environnement urbanistique. Les architectes ont tenu compte de son contexte général pour l’inscrire dans la perspective du bâtiment qui lui fait face, connu sous le nom de la maison du Pan. Celle-ci possède également une tourelle qui fait face à l’une de celles de la maison des paons. « Un bâtiment ne peut pas être vu sans tenir compte de son assiette », souligne Habib Sayah.

 

Pour parachever sa mission, il aimerait bien pouvoir poursuivre son travail en aidant les propriétaires à établir un cahier des charges de leur restauration de manière proactive, de façon à anticiper les interventions plutôt que d’agir dans l’urgence.

 

L’atelier de sculpture sur pierre Cal’As
L’art de redonner tout leur panache original aux façades du bâtiment

 

Vincent Du Bois – © Magali Girardin

 

Parmi les artisans ayant œuvré sur la maison des paons, Vincent Du Bois, de l’atelier Cal’As situé au Petit-Lancy, est intervenu sur les sculptures en s’inspirant de la tradition des maîtres anciens lors de la dernière campagne de restauration, qui date de 2011-2012. Il a hérité cette passion de son grand-père maternel, un Cassani d’origine italienne venu s’installer à Genève pour travailler comme sculpteur sur pierre. Aujourd’hui, son petit-fils allie les méthodes ancestrales et les nouvelles technologies qui lui donnent une ouverture sur le futur.

 

« Une tendance de la restauration est de ne pas intervenir sur la substance historique », souligne-t-il, fort de son expérience et de sa formation à Genève, où il a effectué un apprentissage de sculpteur sur pierre auprès de son grand-père, ainsi qu’à Carrare et à Chicago, où il décrocha un Master of Fine Art à la School of the Art Institut.

 

« Pour moi, l’important est de considérer la restauration dans sa globalité, à savoir que la substance historique n’est pas le seul ornement en façade, mais bien toute la chaîne du savoir-faire dont il dépend. Je me méfie des tendances intellectualisantes de la restauration actuelle qui ne voient dans l’ornement que la trace historique et minimisent les interventions directes sur la pierre. En la désincarnant du geste qui l’a fait naître, on oublie un savoir-faire ancestral. Par ce biais, c’est en même temps la possibilité de faire vivre dans le long terme cette substance historique que l’on condamne ». Il milite en faveur du respect des rythmes ancestraux qui ont permis à nos pierres de taille de survivre à travers les époques, à savoir, en ravalant, en faisant des empiècements et en retaillant.

 

Il partage son quotidien entre son métier d’artisan tailleur de pierre et celui d’artiste contemporain. « En matière de restauration, on assiste à un débat entre la filière académique et manuelle. J’essaie pour mon compte de réunir ces deux courants. Pour ce qui est de la maison des paons, on a eu la chance de pouvoir se faire entendre », souligne-t-il. Les formes sont ce qu’elles sont. « On enlève la croûte qui s’est formée sur la pierre, on refait des encorbellements, on essaie de reconstituer au mieux les parties détériorées ». En matière d’art contemporain, un débat un peu similaire a lieu, l’approche intellectuelle (aussi dite conceptuelle) de l’art se détachant volontiers du savoir-faire.

 

Selon Vincent Du Bois,le tout est d’arriver à passer de la théorie à la pratique. Il est important de préserver les gens qui possèdent le savoir-faire indispensable pour relever les défis qui permettent d’inscrire l’idée dans le pragmatisme de la matière. Un défi qu’il s’est lancé quand il a créé son propre atelier dans les locaux de son grand-père, car le marché de la sculpture est en pleine évolution : « Les outils numériques ont donné un nouveau souffle à la sculpture sur pierre ».

 

Chez Fouad
Un petit air d’Orient aux portes de Genève

 

Fouad Klayani – © Magali Girardin

 

Fouad Klayani n’avait pas imaginé que son destin l’amènerait à ouvrir un jour son propre restaurant au bout du lac Léman, lui qui s’initia aux rudiments de la cuisine pendant son enfance dans la campagne libanaise en allant choisir ses légumes dans les champs. Après avoir suivi sa formation de cuisinier à l’Ecole hôtelière de Lausanne, où il rencontra Martine, celle qui allait devenir sa femme et une participante active à toutes ses aventures culinaires, il acquit une solide expérience aux fourneaux de grands hôtels tels que le Président Wilson et le Richemont à Genève ou encore Le Marceau à Paris. Il décida alors de voler de ses propres ailes pour vivre pleinement sa passion. Cela a commencé par l’ouverture d’un service de traiteur, qui lui permit de tester la réceptivité de la cuisine libanaise au bout du lac. Son crédo se résume en deux mots : courage et joie. Le premier résume bien la persévérance qu’il faut avoir dans ses projets et le second la passion dont il faut faire preuve pour exercer son métier. On le ressent dans la finesse et la douceur des mets qu’il sert.

 

C’est par un pur hasard que Fouad Klayani dénicha cette arcade de la maison des paons qui devint son restaurant. Il est tombé sous son charme dès le premier regard qu’il a jeté à l’intérieur. Alors à la recherche d’un local dans le quartier, il souhaitait reprendre l’Alma, un restaurant situé dans un bâtiment accolé à la célèbre bâtisse Art nouveau. Et c’est pour en discuter qu’il mit les pieds dans l’ancien salon de thé et entendit par hasard que sa gérante cherchait un repreneur pour son établissement.

 

Après deux ans de travaux, le restaurant a ouvert ses portes en 2015. Il s’en dégage une atmosphère à la fois élégante, moderne et fonctionnelle. « Nous avons décidé d’en faire un lieu de rencontre agréable et familial. Et nous proposons une carte de menus à des prix accessibles », souligne Fouad Klayani.

 

Depuis qu’il s’est lancé dans l’aventure, il bouillonne d’activité. On retrouve quotidiennement ses plats sur le menu de son restaurant de la maison des paons, mais également sur la carte de son service traiteur, ouvert rue de la mairie, et sur les étalages de son « Take away », aux Halles de Rive toutes proches. Comme toutes ses préparations aux fumets libanais viennent de la même cuisine, on peut les apprécier avec tout autant de plaisir, quel que soit l’endroit où on les déguste.

 

Bolia
Un nid douillet pour l’art de vivre à la scandinave

 

Sabrina Chevrel – © Magali Girardin

 

Cela fait deux ans que la maison Bolia SA a installé sa boutique de décoration et d’ameublement au rez-de-chaussée de la maison des paons. Sa culture esthétique cadrait particulièrement bien avec l’esprit des murs. Ce groupe danois encore peu connu du grand public possède pourtant des succursales dans quasiment tous les pays européens ainsi que dans certaines grandes villes du reste du globe. Son arrivée à Genève correspondait à son désir de combler une lacune sur le plan helvétique : son absence en Suisse romande. Comme elle dispose traditionnellement d’une fidèle clientèle internationale et branchée, c’est tout naturellement qu’elle misa sur Genève pour couvrir la Suisse francophone, nous confie Sabrina Chevrel, gérante de la succursale du bout du lac. Elle est tombée amoureuse des lieux, mais regrette que l’espace disponible ne lui permette pas d’exposer l‘intégralité des articles de sa collection. « Notre collection de mobilier et d’objets de décoration correspond parfaitement à une clientèle jeune et intéressée par les produits scandinaves », précise-t-elle. Tous les articles de la collection de la marque sont conçus par des designers qui travaillent en exclusivité pour la marque Bolia.

 

Elle y expose ses deux collections par année dans un écrin qui correspond à des valeurs que défend l’entreprise. Cette année, c’est l’héritage scandinave et l’omniprésence de la nature qui sont mis en exergue.

 

« Nos objets s’inscrivent dans une tendance qui est très forte, à savoir aller à l’essentiel ». Le crédo s’inscrit dans l’air du temps : « Less is more ». Il se traduit par un retour aux valeurs essentielles. Les lignes sont très épurées et le côté durable est prépondérant. On mise beaucoup sur les tissus, notamment sur le velours, alors que le cuir est beaucoup moins mis en avant, toujours pour la même raison. « La tendance actuelle cherche à préserver l’environnement, à offrir une ambiance conviviale et un confort accru chez soi », relève Sabrina Chevrel.

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