Jurisprudences récentes – Septembre 2024
Me Nimah Ali Abukar revient dans ce numéro sur les dernières jurisprudences.
Résiliation ordinaire pour besoin propre du bailleur ; disproportion grossière des intérêts en présence
Dans l’arrêt du Tribunal fédéral du 6 mars 2024 (4A_134/ 2023), un contrat de bail est conclu entre un locataire et l’ancienne propriétaire, à laquelle ont succédé un frère et une sœur en tant que co-bailleurs, portant sur un appartement de deux pièces dans un immeuble situé près de la gare Cornavin, à Genève.
Depuis le début du bail, le locataire était autorisé à sous-louer l’appartement en question à un membre de son personnel. Au cours des années, le locataire a longtemps sous-loué l’appartement à des tiers. Jusqu’en 2012, le locataire a habité avec son épouse. Depuis 2013, après la séparation d’avec celle-ci, le locataire a vécu dans l’appartement loué. Ces faits ont été contestés par les co-bailleurs.
Le 21 août 2019, les co-bailleurs ont résilié, par avis officiel, le contrat de bail du locataire pour sa prochaine échéance, à savoir le 31 août 2020, sans pour autant y indiquer de motifs. Le locataire a contesté le congé par-devant les juridictions compétentes.
Au cours de la procédure, les co-bailleurs ont allégué que le locataire vivait dans le canton du Valais et alternativement avec son épouse et non dans l’appartement litigieux. Les co-bailleurs ont motivé le congé en alléguant que la co-bailleresse, âgée de 75 ans et domiciliée également en Valais, souhaitait reprendre possession de l’appartement pour y habiter. Cette dernière se rendait à Genève, à raison de trois jours par semaine, pour s’occuper de sa petite-fille dans sa maison située à Chêne-Bourg. Elle ne souhaitait plus y habiter, car elle ne pouvait plus s’occuper de l’entretien de ladite maison. Elle comptait s’installer dans cet appartement au 6ème étage, et donc au calme, dans un immeuble situé près de la gare dans lequel vivaient l’une de ses filles et le frère de son filleul. Il sied de souligner que les co-bailleurs étaient propriétaires de deux autres immeubles comprenant de grands appartements.
Quant au locataire, âgé de 82 ans, il a déclaré avoir vécu avec son épouse jusqu’en 2012. Depuis 2013, après sa séparation, il vivait seul de manière permanente dans l’appartement et souhaitait y demeurer. Le locataire a affirmé ne pas vivre dans le canton du Valais et ne pas y avoir d’activités. Il a toutefois admis être propriétaire d’un chalet qu’il avait donné à ses enfants, tout en en conservant l’usufruit.
Par jugement du 12 avril 2022, le Tribunal des baux et loyers a déclaré le congé valable et a accordé au locataire une unique prolongation de bail de quatre ans. Le locataire a fait appel contre ce jugement auprès de la Chambre des baux et loyers genevoise, laquelle l’a rejeté par arrêt du 23 janvier 2023. Un recours au Tribunal fédéral a été formé le 1er mars 2023 contre cet arrêt, dans lequel le locataire a conclu principalement à sa réforme en ce sens que le congé soit annulé.
La Haute Cour rappelle la liberté de chacune des parties de résilier un contrat de bail de durée indéterminée. Elle souligne que la seule limite à la liberté contractuelle de signifier une résiliation ordinaire du bail découle des règles de la bonne foi. En principe, le congé ordinaire donné par le bailleur pour pouvoir occuper lui-même l’habitation n’est pas contraire à la bonne foi.
Pour pouvoir examiner si le congé ordinaire contrevient ou non aux règles de la bonne foi, les juges de Mon-Repos effectuent un raisonnement en deux temps. Dans un premier temps, il convient de déterminer le motif du congé (question de fait) et d’examiner si l’intention de la co-bailleresse d’occuper elle-même l’appartement est réelle. Les instances précédentes ont retenu que tel était bien le cas. Dans un second temps, il s’agit d’examiner si le congé est contraire à la bonne foi (question de droit), parce qu’il existerait une disproportion grossière entre les intérêts respectifs de la co-bailleresse et du locataire. La Haute Cour a suivi la Cour cantonale qui a estimé que la co-bailleresse était en droit de disposer comme elle le souhaitait de son appartement. Elle a également indiqué que le locataire était usufruitier d’un chalet à Crans-Montana qu’il pouvait sans autre occuper. Selon le Tribunal fédéral, le résultat de l’appréciation de la Cour cantonale n’aboutit pas à un résultat manifestement injuste ou à une iniquité choquante. Partant, le congé est bien valable et le recours du locataire est rejeté.
Cet arrêt est particulièrement intéressant, car il rappelle les principes applicables en matière de résiliation de bail ordinaire pour besoin propre du bailleur et détaille méticuleusement le raisonnement effectué par les tribunaux dans pareil cas.