Jurisprudences récentes – Octobre 2021
Me Géraldine Schmidt revient dans ce numéro sur les jurisprudences récentes.
Droit du bail et Covid
Par jugement du 28 juin et du 2 août 2021, les tribunaux genevois et zurichois compétents en matière de baux et loyers ont considéré que les loyers commerciaux restaient dus malgré les restrictions – notamment les fermetures – imposées par les autorités. Les juges ont considéré que les locaux loués n’étaient pas affectés de défaut, qu’ils étaient conformes à l’usage pour lesquels ils avaient été loués, que les restrictions avaient en réalité touché l’activité des locataires, ce qui ne justifiait pas de réduction de loyer au sens du droit du bail. Les questions de l’impossibilité subséquente, de l’exorbitance ou de la clausula rebus sic stantibus, ont également été analysées et ont conduit les juges, dans les cas d’espèce, à considérer que les loyers restaient dus. Nous ne manquerons pas de vous tenir informés des suites de ces arrêts qui sont une bonne nouvelle pour les bailleurs.
Abus de droit et requête en fixation judiciaire du loyer
Dans l’arrêt du Tribunal fédéral du 12 mars 2021 (4A_552/2020), un contrat de bail a été conclu le 19 novembre 2015 pour une durée de deux ans, du 15 décembre 2015 au 14 décembre 2017, renouvelable ensuite tacitement d’année en année. Le bail portait sur la villa et ses dépendances, soit une piscine, un garage et une annexe. Le loyer annuel a été fixé à CHF 168’000.–, charges non comprises. Le 10 décembre 2015, un avis de fixation du loyer a été remis au locataire. Il a été daté et signé par les parties, mais les différentes rubriques du formulaire n’ont pas été complétées (identité du bailleur, locataire, précédent locataire, montant du loyer). Le loyer n’a pas fait l’objet d’une contestation judiciaire dans le délai indiqué. À compter du mois de février 2016, les parties ont eu des discussions par rapport au montant du loyer, que la locataire estimait surévalué. Par courrier du 15 août 2016, la bailleresse a mis en demeure la locataire de s’acquitter des loyers arriérés depuis le mois de juin 2016. Le 25 août 2016, la locataire a reproché à la bailleresse le défaut de l’avis de fixation du loyer et a manifesté son mécontentement quant à l’état du bien loué. Elle a en outre indiqué qu’elle quitterait la villa le 15 septembre 2016, ce que la bailleresse a refusé en constatant que les conditions d’une résiliation anticipée n’étaient pas réalisées. Le 30 août 2016, la locataire a indiqué qu’elle n’avait pas contesté le loyer initial suite à un deuil dans sa famille. La villa a finalement été restituée le 30 novembre 2016.
Le 31 août 2018, à la suite d’une première procédure en cas clairs déclarée irrecevable, la bailleresse a saisi le Tribunal des baux et loyers d’une demande en paiement portant sur les loyers des mois de novembre 2016 à mai 2017. Dans son jugement, le Tribunal des baux et loyers a condamné la locataire à s’acquitter de la somme réclamée, après déduction d’une somme invoquée en compensation. Il a considéré que la question de savoir si la villa devait être considérée comme un objet de luxe ne devait pas être tranchée car les éventuelles prétentions du locataire en restitution du trop-perçu découlant d’une action en fixation du loyer étaient prescrites. Il a relevé que la locataire a été informée du fait que l’avis de fixation du loyer initial n’avait pas été correctement rempli et des conséquences y relatives en août 2016 et que la locataire avait invoqué la compensation en octobre 2018, sans prendre des conclusions en fixation judiciaire du loyer. La locataire était parfaitement informée de ses droits mais n’a pas agi en fixation judiciaire du loyer. Elle a utilisé ce vice pour se départir du contrat de manière anticipée, poursuivant ainsi un but étranger à la fixation du loyer. Les premiers juges ont retenu un abus de droit de la locataire. Ce jugement a été confirmé par la Cour de justice. Un recours a été formé par-devant le Tribunal fédéral.
La recourante fait grief à la Cour cantonale d’avoir apprécié les faits de manière arbitraire et d’avoir violé la loi en retenant l’abus de droit. Le Tribunal fédéral fait sien le raisonnement de la Cour cantonale et retient que la locataire savait, au plus tard le 30 août 2016, que la formule officielle n’était pas correctement remplie, que le loyer était selon elle abusif et qu’elle pouvait le contester, qu’elle avait cherché à résilier le bail de la villa qui ne lui convenait pas en invoquant un prétendu loyer excessif et qu’elle n’avait formellement invoqué un trop-perçu que plus d’une année après. Notre Haute Cour rappelle que le but de la formule officielle est d’informer le locataire de sa possibilité de contester son loyer initial mais pas d’obtenir la résiliation de son bail au motif que plusieurs éléments concernant le bien loué ne lui conviennent pas. Le Tribunal fédéral retient dès lors que la locataire a commis un abus de droit en se prévalant de la problématique liée au loyer afin de résilier son bail, l’institution juridique ayant été utilisée de façon contraire à son but. Une attitude contradictoire pourrait également être retenue dans la mesure où la locataire a d’abord cherché à résilier son bail avant d’invoquer plus tard un trop-perçu de loyer. Dans ces conditions, le loyer fixé contractuellement doit être confirmé et le recours rejeté.
Nous saluons cet arrêt dans la mesure où l’admission de l’abus de droit est très restrictive et nous vous rappelons une fois encore la nécessité de remplir un avis de fixation de loyer initial pour tout nouveau contrat.