Jurisprudences récentes – Juin 2024

21 juin 2024
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Me Nimah Ali Abukar revient dans ce numéro sur les dernières jurisprudences.

Congé contraire aux règles de la bonne foi : situation à éviter

Dans un arrêt de la Chambre des baux et loyers genevoise du 18 décembre 2023, le bail initial conclu en 1985 entre une société immobilière et un locataire portait sur un studio. Ce dernier exploitait un café-restaurant et le studio était destiné à l’usage d’habitation pour son personnel. Il est à noter que le contrat ne prévoyait pas que le bail prendrait fin au décès du locataire. Ultérieurement, une personne physique est devenue propriétaire de l’immeuble.

Le locataire est décédé en 2008, sa succession a été répudiée et liquidée par voie de faillite. La régie en charge a informé l’Office des faillites que le studio était destiné à l’un des membres du personnel du locataire décédé, que le loyer était à jour en février 2009 et qu’elle ne disposait d’aucune garantie de loyer. Elle souhaitait dès lors savoir à partir de quand elle pourrait disposer de cet appartement.

L’administration de la faillite a refusé d’intervenir dans le contrat de bail et de fournir des sûretés. La régie a ensuite contacté les héritiers du locataire en les invitant à prendre leurs dispositions pour restituer le studio litigieux. Le sous-locataire en place a indiqué à la régie que l’héritière du locataire décédé était prête à reprendre le bail et à fournir les sûretés requises. En effet, en sa qualité de nouvelle gérante du café-restaurant, elle avait un intérêt à conserver le studio litigieux pour y loger son personnel, dont faisait partie le sous locataire.

Estimant que le sous-locataire occupait sans droit l’appartement, le bailleur l’a menacé d’une action en revendication, qu’il a finalement intentée en faisant valoir qu’il n’y avait pas de contrat de bail pour cet appartement. Le Tribunal a statué en faveur du sous-locataire, reconnaissant son droit à occuper le studio. Ils ont estimé que le contrat de 1985 autorisait le locataire à sous-louer ledit objet à l’un de ses employés, une autorisation opposable au nouveau bailleur. Depuis, le sous-locataire est resté dans les locaux sans protestation du bailleur.

Finalement, en juillet 2020, le sous-locataire a signé un nouveau bail avec les héritiers du bailleur. À cette occasion, une attestation pour l’obtention d’une garantie de loyer lui a été remise en vue d’établir ladite garantie. Malgré les relances de la régie, le sous-locataire n’a pas pu fournir la garantie de loyer requise, en raison du refus de certains établissements de cautionnement. Les héritiers du bailleur ont alors résilié le contrat de bail de manière ordinaire, sans motif spécifié, en janvier 2022. Le congé a été contesté par le sous-locataire. En juin 2022, la régie a indiqué au représentant du sous-locataire que le congé était motivé par une perte de confiance, la garantie bancaire n’ayant pas été constituée, malgré plusieurs rappels.

Le jugement du Tribunal des baux et loyers du 19 mai 2023 a annulé le congé notifié au sous-locataire. En substance, le Tribunal a retenu que le bail conclu en 1985 n’avait pas prévu la constitution d’une garantie de loyer. À la suite de la procédure en revendication, il a été constaté que le sous-locataire avait continué d’occuper le studio et que les loyers étaient régulièrement versés. Les héritiers du bailleur s’en étaient d’ailleurs accommodés jusqu’en 2019. Un contrat de bail tacite avait ainsi été conclu. Un contrat écrit a ensuite été conclu en juillet 2020 prévoyant la constitution d’une garantie, laquelle n’était, selon le Tribunal, pas un élément subjectivement et objectivement important. Il a estimé que l’absence d’établissement de celle-ci ne justifiait pas une résiliation du contrat. Les héritiers du bailleur ont formé appel de ce jugement, sollicitant son annulation.

La Chambre des baux et loyers a tout d’abord rappelé le principe qui veut que chaque partie soit libre de résilier un bail de durée indéterminée pour la prochaine échéance, en respectant le délai de congé prévu. Naturellement, lorsque le bail porte sur une habitation ou un local commercial, la seule limite à la liberté contractuelle des parties réside dans les règles de la bonne foi. Ainsi, si le congé y contrevient, alors il est annulable.

La Chambre a rappelé qu’il n’était pas contesté qu’un contrat de bail tacite avait été conclu ensuite de la procédure de revendication entre le bailleur et le sous-locataire et qu’un contrat écrit avait été conclu en juillet 2020 entre les héritiers du bailleur et le sous-locataire. Elle a également relevé que le sous-locataire avait entrepris des démarches en vue de constituer les sûretés requises, lesquelles n’ont pas abouti dans un premier temps. Le motif invoqué, soit le refus de l’intimé de constituer une garantie de loyer, n’a pas été démontré et pour cette raison, le congé a été déclaré comme étant contraire aux règles de la bonne foi.

En conclusion, cet arrêt met en lumière l’importance du respect des règles de la bonne foi lors d’une résiliation. Bien que les bailleurs aient invoqué un motif de perte de confiance en raison du non-établissement d’une garantie de loyer, les juridictions des baux et loyers ont jugé que ce motif n’était passuffisamment solide. Cela souligne l’importance
pour les bailleurs de fournir des motifs de résiliation
clairs et légitimes lorsqu’ils mettent fin à un contrat
de bail. La situation aurait peut-être été différente en cas
de résiliation extraordinaire faisant suite à une mise en
demeure préalable.

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