Jurisprudences récentes – Février 2025
Me Géraldine Schmidt revient dans ce numéro sur les dernières jurisprudences.
UN ACCORD QUANT À UNE INDEMNITÉ INTERDIT-IL AU BAILLEUR DE RÉSILIER LE BAIL DANS LES TROIS ANS QUI SUIVENT ?
Dans l’arrêt rendu par le Tribunal fédéral le 29 octobre 2024 (arrêt du Tribunal fédéral 4A_473/2024), un contrat de bail portant sur des locaux commerciaux exploités en tant que salon de coiffure et de beauté est conclu à compter du 16 novembre 2017, avec pour première échéance le 31 mars 2023. Le loyer mensuel était de CHF 1300.-. Des travaux de rénovation de l’immeuble ont commencé en 2019. Une indemnité de près de CHF 10 000.- a été payée au locataire par le bailleur suite à ces travaux. Le contrat de bail a été résilié le 16 septembre 2022 pour le 31 mars 2023 compte tenu de l’intention du bailleur d’effectuer d’importants travaux de rénovation. Ce congé a été contesté par le locataire. Le tribunal de la région de Soleure a débouté le locataire de ses conclusions. Ce jugement a été confirmé par le Tribunal cantonal soleurois. Le locataire a saisi le Tribunal fédéral. À l’appui de son appel, le locataire soutient que la résiliation a été donnée durant une période de protection de trois ans suite à un accord entre les parties par rapport à une créance découlant du contrat de bail.
Dans un premier temps, le Tribunal fédéral rappelle dans quels cas un congé peut être annulable, notamment celui où le locataire prouve par des écrits qu’il s’est entendu avec le bailleur sur une prétention en lien avec le bail en dehors d’une procédure judiciaire (art. 271a, al. 2, CO). Les cas où il n’y a pas eu de litige, parce qu’une des parties a immédiatement accédé à la demande de l’autre, ne sont donc pas couverts par l’article 271a, al. 2, CO. L’application de la période de suspension suppose nécessairement qu’il y ait eu un désaccord entre les parties concernant des créances issues du contrat de bail. Si le locataire considère que ses préoccupations ont été suffisamment prises en compte par la première réaction du bailleur, il est évident qu’il ne peut s’agir d’une résolution d’un conflit. A cela s’ajoute qu’aucune période de suspension n’est ouverte si l’accord a suivi un différend entre les parties, mais si ce différend concernait uniquement la clarification ou la vérification des faits justifiant la créance.
Dans le cas présent, notre Haute Cour retient que la question de l’obligation d’indemnisation n’a jamais été controversée dès lors que le bailleur n’a pas contesté son obligation d’indemniser le locataire pour l’usage restreint des locaux du fait des travaux. Des échanges de correspondance ont eu lieu au sujet du montant de l’indemnité, mais il ne saurait être retenu qu’il s’agit d’un conflit ou d’un désaccord, les parties s’étant finalement mises d’accord. Dans une telle situation, il ne peut être question d’un différend réglé par un accord, sous peine de forcer le bailleur à accepter sans condition toute demande d’indemnisation du locataire pour faire naître une période de protection pour le locataire.
Le Tribunal fédéral a donc considéré, à l’instar des juridictions cantonales, que l’élément permettant de déclencher une période de protection de trois ans, à savoir que des différends pertinents aient existé entre les parties, faisait défaut. À cela s’ajoute que le motif de la résiliation était réel, de sorte que le congé a été validé. Le recours a par conséquent été rejeté.
Cet arrêt est intéressant dans la mesure où il montre que chaque échange entre un bailleur et un propriétaire ne fait pas forcément naître un conflit et donc une période de protection de trois ans durant laquelle le bail ne peut pas être résilié. Par conséquent, des discussions au sujet du montant d’une indemnité, des modalités de paiement ou autre ne sont pas synonymes de conflit et un congé reposant sur un motif valable peut être donné dans les trois ans qui suivent ces échanges.
CALCUL DU RENDEMENT BRUT : NOUVELLE JURISPRUDENCE
Dans l’arrêt rendu par le Tribunal fédéral le 31 octobre 2024 (4A_339/2022), un contrat de bail portant sur un appartement de 3,5 pièces avec deux places de parc, construit en 2013, a été conclu pour un loyer mensuel net de CHF 1600.-. Suite à une demande des locataires, le Tribunal des baux a fixé le loyer mensuel net admissible selon un calcul de rendement brut, l’immeuble ayant moins de dix ans, et a condamné la bailleresse à restituer un montant de CHF 33 600.- à titre de trop-perçu. Le Tribunal cantonal du canton de Fribourg a confirmé ce jugement. La bailleresse a formé recours par-devant le Tribunal fédéral.
Le Tribunal fédéral débute son raisonnement en rappelant que le taux de rendement de 0,5 % de sa précédente jurisprudence était calqué sur le pourcentage prévalant dans le cadre du calcul du rendement net. La jurisprudence relative au calcul du rendement net a toutefois changé. Ce changement était nécessaire, puisque le taux hypothécaire de référence avait continuellement baissé depuis 1995, de sorte que le rendement, calculé en ajoutant 0,5 %, aboutissait à un loyer qui n’était plus en rapport avec la mise à disposition de l’usage de l’habitation et se révélait insuffisant. Le Tribunal fédéral conclut que le raisonnement ci-dessus ne saurait être différent en matière de calcul du rendement brut. Les motifs ayant donné lieu au changement de jurisprudence concernant le calcul de rendement net sont tout autant pertinents dans le cadre du calcul du rendement brut. Le Tribunal fédéral rappelle en outre, pour justifier son raisonnement, que le taux de rendement applicable au calcul du rendement brut était fondé sur celui applicable au rendement net, de sorte qu’il convient d’adapter le premier au changement effectué sur le second.
Désormais, le prix de revient doit être multiplié par le taux hypothécaire de référence, auquel on ajoute 3,5 % (1,5 % représentant les frais d’entretien et les charges courantes ainsi que 2 % représentant le rendement des fonds investis) afin d’obtenir le rendement admissible pour la méthode du rendement brut de l’art. 269a CO, tant que le taux hypothécaire de référence est inférieur ou égal à 2 %. Au taux actuel de 1,75 %, le taux de rendement admissible s’élève donc à 5,25 %.
Pour toute question ou information, les avocates de CGI Conseils se tiennent à votre disposition par téléphone au 022 715 02 10 ou par mail à l’adresse info@cgiconseils.ch.