Pregny-Chambésy : entre ville et campagne

27 juin 2018
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Lovée entre le territoire de la ville sur son flanc sud, Le Grand-Saconnex à l’ouest, Bellevue au nord et le lac à l’est, la commune de Pregny-Chambésy surplombe le Léman et les Alpes qui se dessinent dans le lointain arrière-plan. Quelque 4000 Pregnotes-Chambésiens habitent sur une superficie de 3,4 km2 constituée de vastes propriétés et de parcs verdoyants sur lesquels sont implantées de magnifiques villas patriciennes. La commune rayonne bien au-delà de ses modestes frontières, car elle abrite, au Château de Penthes, le célèbre Musée des Suisses dans le monde, qui témoigne du rôle de la cinquième Suisse au-delà des frontières fédérales.

Située sur la rive droite du Léman, avec des rives presque entiè­rement privatisées s’étendant sur 2,2 km, l’actuelle commune de Pregny-Chambésy fut un territoire du Pays de Gex jusqu’au XIIe siècle, avant d’appartenir au duché de Savoie entre la moitié du XIVe et 1536. Les soldats de Leurs Excellences de Berne vinrent ensuite l’occuper et leur clergé y instaura la Réforme. Cette occupation ne dura pas longtemps, car les «envahisseurs» se retirèrent pour concentrer leurs efforts sur le Pays de Vaud, ce qui permit au duc de Savoie d’y exercer ses appétits d’expansion.

Pregny-Chambésy fut ensuite rattaché respectivement au Pays de Gex, à la France, redevint catholique avant d’être élevé au rang de commune au lendemain de la Révolution française. Après 1815, la débâcle de Napoléon vit tomber toute la région dans le giron de la Suisse, qui la rattacha au canton de Genève à l’issue des négociations conclues lors du Congrès de Vienne.

En dehors de ses grandes propriétés emblématiques, la commune, très proche du quartier des organisations interna­tionales de Genève, en abrite quelques-unes, comme l’OMS, dans la partie méridionale de son territoire, ainsi que plusieurs représentations diplomatiques étrangères, dont celle des Etats-Unis, de la France, de l’Italie, de la Bulgarie, de l’Egypte, de l’Algérie, de la Chine, de l’Arabie Saoudite, du Sultanat d’Oman, de Taïwan, du Saint-Siège, du Zimbabwe et de Cuba, pour ne citer que les principales.

Un riche patrimoine historique

Le château de Tournay est certainement la bâtisse la plus riche en événements historiques de la commune. Après avoir appar­tenu au Pays de Gex, il fut incendié et démantelé par les troupes genevoises en 1601 et 1603 pour éviter que les ennemis s’en servent comme tremplin à leurs attaques contre la ville. Il fut ensuite reconstruit et transformé en un élégant manoir, acquis en 1758 par Voltaire, qui en fut dépossédé en raison de son comportement irrévérencieux aux yeux des autorités gene­voises. L’édifice redevint la propriété de la famille De Brosses, qui le possédait déjà depuis le début du XVIe siècle et dont le plus célèbre représentant fut Charles (1709-1777), président du Parlement de Bourgogne. Classé monument historique en 1958, il est aujourd’hui dans les mains d’un propriétaire privé.

L’esprit libertaire et ouvert des habitants de cette modeste commune a survécu à toutes ces péripéties. Plusieurs églises s’y sont établies. La modeste chapelle protestante des Cornillons est devenue le lieu de culte de l’église copte orthodoxe, celle de Sainte-Pétronie appartient aux catholiques romains, alors que les orthodoxes roumains se réunissent dans la chapelle de la Résurrection et les orthodoxes francophones à La Sainte-Trinité – Sainte-Catherine. Enfin, le Centre orthodoxe du Patriarcat œcuménique s’est installé également sur la commune.

Un bastion des unions pour les couples de la région

Nombreux sont les couples qui viennent y unir leur destin, d’autant plus que les restaurants sont nombreux à accueillir une clientèle de gastronomes dans un environnement calme et soigné. Les amoureux n’ont pas à se déplacer bien loin pour effectuer toutes les démarches administratives propres à leur passage devant le maire. Depuis le 1er janvier 2018, le siège du nouvel arrondissement de l’état civil des communes avoisinantes de Bellevue, Céligny, Collex-Bossy, Genthod, Le Grand-Saconnex et Versoix est abrité à Pregny-Chambésy.

Les autres infrastructures de proximité se sont en revanche étiolées au fil des ans. C’est le cas du bureau de poste et des magasins de village, qui, pour la plupart, ont mis la clef sous la porte depuis belle lurette. Le tapissier-dé­corateur Gérald Clos, ultime défenseur de cette dernière catégorie socioprofessionnelle, a rangé définitivement ses outils et tissus au début de cette année.

Seule la gare des CFF a survécu sous une forme allégée à ce chamboulement et le réseau du chemin de fer local se renforce grâce à la construction de la quatrième voie, en cours d’achèvement, et à l’intégration de Chambésy au réseau ferroviaire régional.

Une commune entre nature et lac

La commune compte encore plus de 18% de sa surface en terres agricoles, même si aucun agriculteur ne possède plus son exploitation principale sur son territoire. C’est dire que la nature y est très présente. Les promenades et randonnées sont très agréables sur la crête de sa topographie dans les parcs et les forêts, de même que sur les berges des rivières qui traversent le territoire de la commune, ainsi que sur les abords de l’étang des Écrevisses, situé sur le domaine de Tournay, qui a fait l’objet d’une renaturation en 1993 après avoir été laissé longtemps à l’abandon. Le Parc de l’Impératrice fait réfé­rence à Joséphine de Beauharnais, première femme de Napoléon Ier, à qui il a appartenu.

La partie basse de son territoire est par contre envahie par le trafic automobile sur la route de Suisse et par le trafic ferroviaire qui relie la gare de Cornavin à celle de Lausanne. Dès que l’on quitte le haut de la commune, la torpeur retombe en effet. Trois accès au lac sur le sol communal sont possibles, à savoir pour les baigneurs depuis la plage du Reposoir et l’autre, également destiné aux amateurs de sports lacustres, à partir de l’esplanade du Vengeron, rivière qui se jette dans le lac à côté de l’embranchement de l’autoroute. Enfin, la plage communale est réservée exclusivement aux habitants du cru et à leurs invités.

LE RESTAURANT DES TROIS COQS, UNE AFFAIRE DE FAMILLE

restaurant des trois coqs
Pierre et Annick Pelz

Quand on ouvre la porte de l’établissement, on ressent immé­diatement le caractère particulier des lieux, cosy et pétris de tradition. La maison abritait déjà un restaurant au début du siècle dernier et c’est depuis 1994 que Pierre et Annick Pelz tiennent les rênes du restaurant Les Trois Coqs de Chambésy. Ils ont fait subir une transformation en 2002 à cet ancien bâti­ment dans lequel ils accueillent leurs hôtes et en ont profité pour changer son nom afin de l’adapter aux exigences du service et de la clientèle. «Au départ, nous avons misé sur la volaille, mais ce sont nos clients qui nous ont poussés à orienter notre carte vers les produits du terroir, simples et traditionnels, sans gluten et vegan, même si je ne suis personnellement pas un inconditionnel de cette dernière spécialité», indique Pierre Pelz, qui est aux fourneaux.

Sa femme Annick reconnaît que les journées sont longues quand ses deux salles, qui peuvent accueillir jusqu’à 28 clients, sont pleines: «Les journées sont minutées depuis le petit matin». Sans compter le surplus de travail lorsque les clients décident de s’installer par beau temps sur leur jolie terrasse. «Et il n’est pas rare que le restaurant se remplisse en l’espace de 15 minutes», note-t-elle. En raison de la proximité des organisations internationales, la clientèle est devenue très cosmopolite au fil des ans et ses goûts ont évolué. «A Chambésy, la moitié des habitants sont aujourd’hui des étrangers», souligne ainsi Pierre Pelz.

La salle du premier étage est un peu particulière. Elle regroupe tous les convives autour d’une unique grande table, de quoi y tenir également des réunions et séminaires d’entreprises. Elle fait office de salle à manger pour le couple et ses enfants durant le week-end et les autres jours de fermeture du res­taurant. Ce dernier sert en effet d’habitation pour la famille. « Cela nous permet de profiter de nos enfants, » explique Annick Pelz, qui s’occupe à elle seule du service en salle. Le fait de vivre sous le même toit leur permet de resserrer les liens familiaux et d’aider leurs enfants à faire leurs devoirs.

FORCE 5 : LE REPÈRE DU BOUCANIER YVAN KILLISCH

Yvan Killisch

C’est en 1982 qu’Yvan Killisch a commencé à travailler au sein de l’école de voile qui s’était installée sur l’esplanade du Vengeron deux ans plus tôt et c’est depuis 1987 qu’il en assure la gestion. Ouverte du 1er mai au 30 septembre, l’école emploie sept personnes, la moitié chargée des cours de voile et l’autre du service aux clients. Le rustique cabanon en bois de l’école est accolé au magasin d’accastillage et à la buvette qui permet aux baigneurs et mordus de la voile de se désaltérer après une sortie sur le Léman.

Cet emplacement dédié aux sports nautiques, qui est situé sur le territoire de la commune de Pregny-Chambésy, a été construit avec les déblais de la construction de l’embranchement de l’autoroute. Depuis, les habitudes des adeptes de nautisme populaire ont bien changé, selon Yvan Killisch: «Dans les belles années, près de 1200 planches à voile étaient rangées dans les râteliers», se remémore-t-il, lui qui a racheté le magasin d’accastillage en 1997 et l’école de voile en 2003 à son ancien patron. «Aujourd’hui, il n’en reste que douze », regrette-t-il. Mais les catamarans Hobie Cat, les Laser monocoques et les paddleboards ont pris le relais sous les pieds des marins d’eau douce.

Âgé de 50 ans, le patron de l’école de voile se plait sur son esplanade, d’où il a une vue magnifique sur le lac et les montagnes en attendant de voir débarquer les hordes de baigneurs qui profitent de ce lieu bucolique pour s’y délasser et les jeunes qui suivent les cours et camps de voile. «Il faut que cette plage reste telle qu’elle est », insiste Yvan Killisch, même si la cohabitation entre les navigateurs et les baigneurs n’est pas toujours idéale, surtout durant les périodes de forte affluence. Certains habitués viennent tous les jours de l’année pour s’y baigner.

Le patron des lieux a juste profité de la saison morte pour rénover avec quelques amis la vaste terrasse de bois qui prolonge la buvette, qui en avait bien besoin. De quoi accueillir les vacanciers sans les exposer inutilement à une chute.

LE MUSÉE DES SUISSES DANS LE MONDE

Cela fait déjà plus de 40 ans que le Musée des Suisses dans le Monde est abrité dans le château de Penthes, à l’extrême sud de la commune de Pregny-Chambésy, au sein d’un magni­fique domaine surplombant le lac. Présidée par Rodolphe S. Imhoof, ancien ambassadeur de Suisse auprès de l’Unesco, la Fondation anime non seulement le Musée lui-même, mais aussi le restaurant et un institut de recherche. Confronté à une situation financière difficile voici deux ans, le conseil de Fon­dation a dû revoir la structure, la gouvernance et les objectifs de la Fondation. Il s’est beaucoup investi dans l’assainissement de la situation et de nouveaux membres bénéficiant de com­pétences pointues ont été appelés à la rescousse. « Il était important de mettre les bonnes personnes aux bons endroits et d’assurer une gestion d’une rigueur absolue», souligne Me Ronald Asmar, vice-président de la Fondation.

Un groupe de travail en cours de formation planche sur la définition de la nouvelle structure. Les trois pôles de la structure modernisée (gastronomie, musée et institut) vont perdurer et s’inscrire dans le cadre de la Suisse internationale. «Nous voulons faire entrer la Fondation et son musée dans le XXIe siècle pour répondre aux attentes actuelles. Le Domaine de Penthes doit prendre sa place au cœur du quartier des organisations internationales, tout en encourageant un large accès au public qui est attaché à ce lieu», poursuit le vice-président de la Fondation.

Me Asmar, vice-président de la Fondation

L’exposition temporaire qui vient d’être inaugurée à l’occa­sion des 40 ans de la Fondation de Penthes a pour thème l’enfermement et a été réalisée en collaboration avec la prison genevoise de Champ-Dollon, qui a elle aussi 40 ans d’existence. Cet établissement est par essence un lieu de rencontre entre des gens de culture, de mode de vie et de religions différentes. Dans ce sens, ce thème illustre l’ouver­ture et la modernité souhaitées par le Conseil de Fondation. L’exposition reflète bien l’instinct créatif et artistique qui peut émerger dans ces lieux de détention, où il représente parfois le seul moyen de survie. Elle confronte des œuvres en lien avec Champ-Dollon et celles d’artistes contemporains inter­nationaux et vise à susciter la réflexion sans porter de regard moralisateur sur la situation des détenus.

A terme, les prochaines expositions temporaires prévues, à raison de deux ou trois par année, ne vont pas se limiter à un seul fil conducteur. «Nous voulons faire éclater toute vision passéiste et nous ouvrir sur le monde avec une orientation universelle», nous confie encore Me Ronald Asmar.

LES TOWNHOUSES DE ROILBOT

Danilo Ceccarini, du bureau Linea Architecture & Design Sàrl

Le chantier des six villas contigües érigées en enfilade au chemin de Roilbot s’est achevé à la fin de 2017, après 15 mois de travaux. Les villas sont érigées dans un quartier composé de villas traditionnelles, à côté de l’ancienne forge du village. Auteur de ce projet et architecte EPFL, Danilo Ceccarini, du bureau Linea Architecture & Design Sàrl, a innové en provoquant une cassure avec les idées reçues dans la construction d’habitations.

Leur conception tranche avec la plupart des projets de densi­fication du bâti traditionnel, tout en tirant parti des nouvelles dispositions genevoises sur la densification des zones à bâtir. Le corps du bâtiment est longiligne, mais les avancements au niveau du premier étage cassent la monotonie de ses structures. Construire six villas sur une parcelle de 1850 mètres carrés qui n’en accueillait jusqu’ici qu’une seule s’est avéré être un défi de taille, mais l’exercice est réussi. Cela commence par l’entrée des habitations, que l’on atteint en traversant une petite terrasse privative donnant sur le chemin d’accès à toutes les bâtisses.

Danilo Ceccarini a innové en choisissant une structure métal­lique ennoblie par des cannelures verticales peintes dans une teinte bronze pour habiller les façades. Celles-ci s’harmonisent esthétiquement avec la nature environnante, très présente des deux côtés de l’allée. Par ailleurs, pour favoriser les rencontres entre les habitants, l’accès au parking des voitures ne se fait que par le sous-sol. «J’ai imaginé ce projet comme si je le faisais pour moi-même », admet Danilo Ceccarini. Il s’y est finalement tellement investi et attaché lors de l’avancement du projet qu’il a fini par décider d’acquérir l’une des villas de la promotion. Les 135 mètres carrés de surface des villas (215 avec le sous-sol) sembleraient de prime abord assez modestes, mais une ingéniosité toute particulière a été portée à la dispo­sition des volumes. A aucun moment, on ne se sent enfermé.

Une fois que l’on a franchi la porte d’entrée, on débouche sur l’espace de vie avec sa cuisine fonctionnelle, la salle à manger et son salon qui donne sur le jardin en partie abrité par l’encorbellement de la véranda du premier étage. Celle-ci s’inscrit dans le prolongement de la chambre parentale, comme une cabane accrochée dans les arbres, d’autant plus que de très larges baies vitrées permettent à la lumière de pénétrer jusqu’au plus profond des espaces de vie.

La salle à manger du rez-de-chaussée comporte un plafond cathédrale ouvert sur la terrasse du premier étage où l’on trouve trois chambres et deux salles de bain, dont une communiquant directement avec la suite parentale. A cela s’ajoutent au sous-sol deux chambres, un réduit, un petit patio et une salle d’eau, le tout parfaitement bien agencé. L’architecte souligne que même si la typologie qu’il avait imaginée était assez figée, elle a malgré tout permis aux acheteurs de personnaliser leur logement.

LES HABITANTS SE BATTENT POUR STIMULER LA VIE COMMUNALE

Muriel Mooser et Lisa Lunby de Cham’Art

Face au risque de désertification de la vie sociale et commu­nautaire dans les villages de Pregny et de Chambésy, certains ont décidé de réagir. C’est le cas de Chantal Monney, aqua­relliste, qui a créé, voici 15 ans, l’Association des artistes et artisans – appelée Cham’art – avec d’autres artistes des lieux. Celle-ci compte aujourd’hui 35 membres à son actif et orga­nise des ateliers ouverts aux habitants de la commune. Dans le cadre de ces ateliers qui se déroulent plusieurs fois par année sur la base du bénévolat, tout un chacun peut s’initier à des activités artistiques et artisanales. «Ces ateliers rencontrent un grand succès», nous confie Muriel Mooser, présidente de l’association depuis 4 ans. Elle est assistée dans cette tâche d’organisation par Lisa Lunby, membre du comité.

Un marché aux fleurs et plantons – qui est l’occasion de partager de jeunes pousses entre jardiniers amateurs – a été organisé cette année au mois de mai pour la deuxième fois dans l’histoire de l’association. Les pots des plantes sont décorés par les jeunes écoliers du village. Une grande fresque en relief a aussi été créée par les enfants. Elle orne désormais l’entrée du local de l’association, situé au sous-sol du local de la voirie du village. Parmi les ateliers qui ont rencontré un vif succès, la présidente relève celui au cours duquel les participants ont pu concevoir des objets en trois dimensions en utilisant du béton coulé sur un treillis en fil de fer.

L’association organise tous les deux ans une grande exposition en plein air, dans la forêt, à laquelle participent une vingtaine d’artistes de la région pour y présenter leurs œuvres – es­sentiellement des sculptures – le long d’un parcours ludique. Appelée «Solstice», cette exposition a aussi été l’occasion de fêter l’arrivée de l’été en musique et avec une représenta­tion du groupe théâtral Les Impromptus. «Nous effectuons des sorties pour aller voir d’autres artistes qui exposent leurs œuvres dans d’autres endroits», conclut Muriel Mooser.

Photos de Magali Girardin

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