Saint-Gervais et Sacré-Cœur : des lieux de culte ouverts sur la ville
L’Église protestante de Genève et l’Église catholique romaine de Genève sont propriétaires de nombreux biens immobiliers dans le canton dont une majorité sont des lieux dédiés au culte. Récemment, certains d’entre eux se sont transformés pour devenir des espaces plus ouverts, et renouer le dialogue avec un public de fidèles, mais aussi avec toute autre personne intéressée. C’est le cas du temple de Saint-Gervais et de l’église du Sacré-Cœur de Plainpalais.
Sanctuaire historique de la rive droite, le temple de Saint-Gervais accueille l’Espace Saint-Gervais depuis 2005 afin de renouveler la présence de l’Église protestante en ville. Quant à l’église du Sacré-Cœur, affectée au culte catholique, elle a été entièrement rénovée suite à un incendie pour réouvrir en 2024 en tant que « Maison d’Église », un nouveau lieu d’accueil et d’échanges qui se veut plus ouvert sur la cité.
Sur son site Internet, l’Église protestante de Genève (EPG) recense 71 bâtiments dont elle est propriétaire dans le canton, parmi lesquels 48 lieux de culte comme la cathédrale Saint-Pierre. Situé au 12 rue des Terreaux-du-Temple, le temple de Saint-Gervais est un monument emblématique genevois, témoin de l’histoire de la ville et qui conserve les vestiges de l’un des plus anciens sanctuaires chrétiens de Suisse. Aujourd’hui, cet espace pluriséculaire est non seulement un lieu de spiritualité, mais aussi de culture, qui s’adresse tant aux fidèles qu’à un public plus large et laïque, en proposant différents types de manifestations, collaborations et événements.
6’000 ans d’histoire
Situé sur une terrasse qui domine le Rhône, le temple de Saint-Gervais occupe un emplacement stratégique, déjà colonisé par l’homme 4’000 ans avant notre ère. Du néolithique en passant par les Romains, le lieu n’a quasiment pas cessé d’être un sanctuaire, témoin des plus anciennes traces de la présence humaine à Genève.
Du néolithique en passant par les Romains, le lieu n’a quasiment pas cessé d’être un sanctuaire, témoin des plus anciennes traces de la présence humaine à Genève.
Sa crypte conserve par ailleurs les vestiges d’une grande église funéraire datant du Ve siècle, un site accessible sur demande en s’adressant au Service d’archéologie du canton.
Au XIe et XIIe siècle, ce lieu de culte chrétien devient une paroisse médiévale, avant d’être entièrement reconstruit dans le style gothique au XVe siècle et orné de riches décors peints et sculptés qui seront redécouverts cinq siècles plus tard. Puis, la Réforme intervient à Genève en 1535, transformant le lieu en temple et le dépouillant de ses ornements superflus pour l’adapter aux exigences de la liturgie protestante.
Ces nouvelles missions ont pour but de renouveler le dialogue entre l’Église et le monde d’aujourd’hui à travers des manifestations spirituelles et culturelles qui s’adressent à tous.
Au XXe siècle, deux restaurations successives ont redonné son aspect médiéval au temple dont les décors témoignent à présent des différents courants religieux qui ont traversé Genève.
Faire dialoguer culture et spiritualité
Aujourd’hui, le culte protestant est toujours le cœur de l’activité du lieu, mais, sur le principe des Offene Kirche de Suisse alémanique, l’Espace Saint-Gervais propose depuis 2005 des événements en dehors des services liturgiques habituels. Ces nouvelles missions ont pour but de renouveler le dialogue entre l’Église et le monde d’aujourd’hui à travers des manifestations spirituelles et culturelles qui s’adressent à tous. L’Espace Saint-Gervais organise régulièrement des concerts, des lectures et des expositions, ainsi qu’un nouveau festival dédié aux « arts sacrés » dont la première édition s’est tenue en 2024.
Organiste titulaire de la paroisse de la rive droite et coordinateur de l’Espace Saint-Gervais, Diego Innocenzi est l’un des artisans de cet esprit d’ouverture. Il se réjouit par ailleurs que tout le monde puisse profiter de l’acoustique exceptionnelle du temple.
Un bâtiment aux trois vies
Du côté de Plainpalais, à la rue Général-Dufour, le lieu est moins chargé d’histoire. Pourtant, le bâtiment du Sacré-Cœur a déjà eu plusieurs vies durant sa courte existence. Elle commence au XIXe siècle, après la démolition des remparts et la mise à disposition de nouvelles parcelles pour des lieux de culte non réformés. Construit en 1858-1859, le Temple unique est destiné à un groupe de loges maçonniques qui, en crise, le vend rapidement. Le bâtiment abrite ensuite un café-brasserie puis des associations. Racheté par l’Église catholique en 1873, il prend alors le nom de Sacré-Cœur. Depuis 1958, il est aussi le lieu de culte de la communauté catholique hispanophone de Genève.
Le 19 juillet 2018, un incendie provoque un embrasement généralisé ainsi que l’effondrement de la toiture. C’est le début d’un long processus de déconstruction, de reconstruction et d’aménagement pour l’imposant sanctuaire de Plainpalais. L’enveloppe extérieure, épargnée par les flammes, a été rafraîchie alors que l’intérieur a été entièrement refait à neuf. Le coût total des travaux s’élève à 25,5 millions de francs, une somme en partie prise en charge par les assurances, des dons et un emprunt bancaire, ainsi que par des subventions publiques, le bâtiment ayant été classé en 2007 par le Conseil d’État. La rénovation a été confiée à Christian Rivola de l’atelier ribo+ architectes, basé au Tessin, alors que le lieu de culte du rez-de-chaussée a été entièrement repensé, de manière inédite, par l’architecte parisien Jean-Marie Duthilleul. Un nouveau puits de lumière traverse à présent les quatre niveaux du bâtiment, du toit jusqu’à la crypte.
Une église pensée comme un incubateur
C’est ainsi que le 1er juin 2024, le bâtiment a pu entamer sa troisième vie. Il était temps pour la paroisse du Sacré-Cœur, propriétaire des lieux, ainsi que pour la communauté catholique hispanophone de regagner leurs quartiers après un exil forcé. Le bâtiment devient également le nouveau centre de l’Église Catholique Romaine de Genève (ECR), qui a vendu son siège administratif et pastoral situé en Vieille-Ville pour rejoindre sa nouvelle maison diocésaine avec ses 15 collaborateurs et 25 agents pastoraux laïcs.
Conçu comme un lieu multimodal, le Sacré-Cœur ne sera pas uniquement occupé par ces trois entités puisqu’il contient désormais des espaces ouverts au public ou destinés à la location. Ainsi, les étages abritent de nouveaux bureaux, des salles de conférences, un restaurant de 80 places avec terrasse, une grande salle des fêtes ou encore la chambre de l’évêque lorsqu’il séjourne à Genève. La crypte a quant à elle été réaménagée pour devenir un espace culturel.
L’Eglise du Sacré-Cœur de Plainpalais ©Magali Girardin
Un peu à la manière d’un incubateur, le Sacré-Cœur veut rassembler et provoquer des rencontres autour de thématiques communes, et développer des projets propres à éveiller la spiritualité de chacun.
La nouvelle Maison d’Église de Genève se veut donc un lieu ouvert sur la ville, qui accueille non seulement un public de fidèles, mais aussi de profanes, en favorisant les échanges. Un peu à la manière d’un incubateur, le Sacré-Cœur veut rassembler et provoquer des rencontres autour de thématiques communes, et développer des projets propres à éveiller la spiritualité de chacun.
Diego Innocenzi
Coordinateur et organiste titulaire de l’Espace St-Gervais
Titulaire des orgues du Victoria Hall et des temples de Vandœuvres et de Saint-Gervais, Diego Innocenzi est né en Argentine d’une famille italienne en 1971. « Je suis arrivé à Genève en 1995 pour y poursuivre des études d’orgue au Conservatoire de musique », nous raconte ce virtuose et chercheur en interprétation historique de la musique sacrée, avant de poursuivre : « Dès mon arrivée à Genève, j’ai commencé à travailler comme organiste liturgique. En 2006, je suis arrivé au temple de Saint-Gervais, qui venait d’ouvrir ses portes à l’équipe de l’Espace Saint-Gervais, et cherchait notamment à développer une spiritualité basée autour de la musique et de la méditation. »
Celui qui œuvre désormais en tant que coordinateur de cet espace nous précise : « Avec ce nouveau concept, l’idée était de s’ouvrir aux autres entités genevoises et d’être plus transversal, en gardant bien sûr le temple comme base mais en proposant également des activités hors les murs. Depuis, nous avons collaboré avec notre voisin le Théâtre de Saint-Gervais, mais aussi avec la paroisse Saint-Pierre ou encore avec des festivals et des compagnies de danse. Il y a eu des événements assez insolites, comme lorsque par exemple, lors d’une pièce de théâtre dont une partie se déroulait au temple et l’autre au théâtre voisin, les spectateurs devaient se déplacer d’un lieu à l’autre ».
Diego Innocenzi se félicite de cet esprit d’ouverture, à un moment où les gens avaient tendance à s’éloigner des églises : « Nous voulions que tous les Genevois et Genevoises puissent profiter de ce lieu, qui est un bijou d’architecture et d’histoire, et qui plus est la plus vieille église encore en activité de Suisse. Nous organisons des visites archéologiques par exemple, et nous faisons entendre les grands orgues du temple dont l’acoustique est exceptionnelle. Depuis 2007, nous organisons des cultes cantates. Cela fait donc 17 ans que, tous les premiers dimanches du mois, des gens viennent au temple pour écouter de la musique. Ils y trouvent aussi un texte biblique et la parole de nos pasteurs qui les invitent à les méditer ». C’est non sans fierté que le virtuose argentin poursuit : « Au fil du temps, les cultes cantates sont devenus un rendez-vous incontournable. Nous attirons des gens de tout le canton, des mélomanes, et aussi beaucoup de personnes de France voisine. Cette musique sacrée, composée pour un culte, fait se déplacer un public qui n’assiste habituellement pas au culte. C’est vraiment la force de ces rendez-vous, lors desquels nous nous efforçons de mettre en dialogue le message de l’Église avec une parole plus contemporaine ».
Au fil du temps, les cultes cantates sont devenus un rendez-vous incontournable.
Pour la petite histoire, Diego Innocenzi travaille depuis 15 ans dans la conception et la restauration d’orgues à Genève et il a été récemment appelé en tant qu’expert sur le chantier du nouvel orgue du Sacré-Cœur. Il nous raconte avec beaucoup de détails son expérience de consultant : « À Saint-Gervais, nous avons un instrument inspiré par les orgues du XVIIe siècle, tandis qu’à Plainpalais, ce sera plutôt un orgue du XXIe siècle, très innovant. Créé suite à un appel d’offres par la Manufacture d’orgues Muhleisen en Alsace, il n’aura pas de tuyaux apparents et permettra des nuances très subtiles. Comme il y a deux étages de bureaux au-dessus et un restaurant au rez-de-chaussée, c’était également une contrainte d’arriver à proposer un instrument jouable sans déranger ceux qui se trouvent au même moment dans d’autres parties du bâtiment. » C’est non sans une certaine impatience qu’il conclut : « Je me réjouis de pouvoir l’essayer, une fois qu’il sera livré fin 2025 ».
Philippe Fleury
Président du conseil de la paroisse du Sacré-Cœur
Le conseil de paroisse, constitué en association que préside Philippe Fleury, est propriétaire du bâtiment du Sacré-Cœur de Genève. « J’ai habité pendant 30 ans à côté de cette église. C’est la paroisse de mes parents, la paroisse de mon enfance, pour laquelle ma mère a énormément fait. J’y serai toujours attaché », nous confie avec beaucoup de passion ce Genevois de 52 ans qui dirige en parallèle, la Fédération des Entreprises Romandes. Il revient d’abord sur cet événement tragique survenu il y a six ans et qui a marqué un tournant dans l’histoire de ce bâtiment : « Lorsque l’intérieur de l’église a brûlé en juillet 2018, c’était notre responsabilité, aux membres du conseil et à moi-même, de la reconstruire. J’ai piloté le projet, qui s’est déroulé en plusieurs étapes. Il a fallu d’abord déconstruire, c’est-à-dire enlever tous les gravats ravagés par les flammes et par l’eau, puis déposer les autorisations nécessaires, avant de poser la première pierre du chantier de reconstruction, en 2022 ».
Si l’enveloppe du bâtiment a été épargnée par les flammes, l’intérieur a en revanche dû entièrement être repensé. Philippe Fleury poursuit : « Suite à un appel d’offres, nous avons sélectionné un bureau d’architectes tessinois dirigé par Christian Rivola. Notre choix s’est porté sur eux, car ils avaient la sensibilité nécessaire pour intervenir sur un lieu de culte catholique, en plus d’avoir l’expérience dans la restauration de bâtiments classés comme le nôtre ». Il mentionne une nouveauté, et non des moindres, au niveau de la structure du Sacré-Cœur : « L’ajout le plus important est certainement ce puits de lumière, qui traverse les quatre étages, jusqu’à la crypte en sous-sol. En fait, le bâtiment était assez sombre avant l’in-cident et puis, tout d’un coup, la charpente a été détruite par les flammes et on voyait le ciel depuis les étages du bas. Assurément, cela nous a donné des idées », ajoute-t-il en souriant, avant de préciser : « Vous savez, cette lumière du ciel qui pénètre à présent et éclaire les étages, cela a quelque chose de symbolique, c’est un nouvel axe très fort pour notre lieu. Il y a aussi un échange qui se crée avec les prières qui remontent ».
Cette lumière du ciel qui pénètre à présent et éclaire les étages, cela a quelque chose de symbolique.
Pour cet avocat de formation, l’Église est obligée de se réinventer, dans un monde où le sacré a perdu du terrain : « D’une certaine manière, nous avons profité de cet inci-dent tragique pour repenser la place du Sacré-Cœur dans la cité et proposer quelque chose de nouveau, de moins traditionnel ». Il poursuit : « Ici, nous sommes dans un lieu devant lequel tous les Genevois sont passés au moins une fois. Il a fallu lui redonner un sens afin qu’ils puissent se le réapproprier. Le lieu de culte, avec son marbre et ses vitraux, bénéficie d’une disposition entièrement revue et très contemporaine. Un véritable arbre, un olivier, a été planté dans l’église. Nous aurons bientôt un nouvel orgue, à la pointe de ce qui se fait. Et puis, en plus des bureaux, il y a un restaurant, ouvert au public, qui déborde sur une terrasse, ainsi qu’une salle des fêtes au deuxième étage et une autre en sous-sol qui est modulable, et adaptée pour des conférences, des concerts, des expositions, etc. » En conclusion, Philippe Fleury tient à souligner : « À terme, nous voulons vraiment faire vivre cet édifice à 360 degrés et arriver à une forme de perméabilité entre le religieux et le laïque ».