Moments clés d’une vie au cœur d’un bâtiment historique

1 décembre 2023
908 vues
13 minutes de lecture

Elle fut la mairie des Eaux-Vives avant de devenir celle de la Ville de Genève et d’héberger le Service de l’état civil. Lieu de transitions et de moments forts d’une vie, le bâtiment de « style suisse », œuvre de l’architecte genevois Léon Bovy, porte aussi en lui l’histoire de l’ancienne commune autonome.

Chaque Genevois y passe au moins une fois dans sa vie. Non, il n’est pas question ici des Bains des Pâquis ou de la plaine de Plainpalais, mais bien du Service de l’état civil. Ce dernier est situé à la rue de la Mairie 37, en plein cœur du quartier des Eaux-Vives, l’un des plus grands de la ville.

Le Service de l’état civil, ce drôle d’endroit qui a pour mission d’enregistrer tous les événements qui marquent le parcours de la vie d’une personne, de sa naissance à sa mort, dans le registre de l’état civil. Ce drôle d’endroit qui marque les esprits, non seulement par son rôle, mais aussi, et peut-être surtout, par son emplacement, puisqu’il est installé dans le bâtiment de la mairie des Eaux-Vives.

Les Eaux-Vives, cette ex-commune autonome

Un bâtiment historique important, puisqu’il est le témoin de l’époque où les Eaux-Vives formaient une commune autonome de la Ville de Genève. Aujourd’hui entouré de cafés, de restaurants, d’un fitness et de bien d’autres services et entreprises du bouillonnant quartier, fut un temps – pas si lointain – où la mairie était le symbole d’une commune… et de son importance. Le promeneur ou l’automobiliste, qu’il soit de Genève ou d’ailleurs, continue à lever les yeux lorsqu’il passe devant l’imposante bâtisse au style bien particulier. Pour comprendre un peu mieux l’architecture originale du bâtiment, il faut se tourner vers l’histoire du quartier dans lequel il est implanté. Jusqu’en 1930, date de la votation sur la « Grande Genève » qui a entraîné la fusion administrative des communes de Genève, des Eaux-Vives, de Plainpalais et du Petit-Saconnex, les Eaux-Vives étaient une commune indépendante. Au Moyen-Âge, on l’appelait faubourg du Temple.

Un bâtiment historique important, puisqu’il est le témoin de l’époque où les Eaux-Vives formaient une commune autonome de la Ville de Genève.

Comme tous les faubourgs de la ville, il a été rasé dans les années 1530 pour empêcher l’ennemi savoyard d’avancer. Après la paix avec la Savoie en 1693, le faubourg à vocation artisanale s’est lentement construit. Le port de la Scie a été érigé entre 1836 et 1838 et le bord du lac est peu à peu devenu un quai marchand animé, où les voiliers du Léman venaient décharger leurs cargaisons. À noter également la construction du pont du Mont-Blanc, en 1853, qui permettra de relier les Eaux-Vives aux Pâquis par la route.

Dans son ouvrage La commune des Eaux-Vives de sa création à la fusion, l’historien Jean-Pierre Ferrier souligne la bonne santé des Eaux-Vives durant le XIXe siècle. Il écrit notamment : « En 1810. (…) Les alliés envahirent la France, mais aucun de ces événements ne se reflète dans les registres de la commune, qui semble continuer, sans autres soucis, sa petite vie tranquille ».

Deux nouvelles mairies en cinquante ans

En 1853, la mairie ne suffisant plus aux besoins de la commune, il fut décidé d’en construire une nouvelle. Située elle aussi à la rue de la Mairie, à l’angle de la rue Henri-Blanvalet, elle fut utilisée en tant que mairie de 1856 à 1909, avant de servir d’école enfantine durant une vingtaine d’années.

Entre-temps devenue cinquantenaire, la mairie fut à nouveau remise en question à cause de sa capacité d’accueil et de sa place restreintes. En 1905, un crédit de 450 000 francs fut voté pour en construire (encore) une autre. Le Genevois Léon Bovy fut choisi comme architecte : l’élaboration des plans l’occupa, ainsi que la municipalité, jusqu’à fin 1906. Les travaux durèrent deux années et la nouvelle mairie fut inaugurée en 1909. « Le nouvel édifice était admiré de tous », écrit Jean-Pierre Ferrier dans son ouvrage.

Le bâtiment de « style suisse » en impose : il est massif et visible de loin, typique du Heimatstil en vogue de la fin du XIXe au début du XXe siècle et appartenant à la tendance historiciste. Il a notamment été valorisé par l’Exposition nationale de 1886. Cette bâtisse monumentale, avec son clocher de guet et ses clochetons, devait marquer l’importance de la commune en relation avec son développement à la fois urbanistique, social et politique. D’ailleurs, à cette même époque, la commune possédait sa propre gare de chemin de fer (qui sera démolie en 2017). C’est en 1931 que la commune des Eaux-Vives fut intégrée à la ville de Genève.

La mairie des Eaux-Vives est ainsi bien plus qu’un simple édifice administratif. Au-delà de son histoire s’inscrivant au cœur d’une commune devenue quartier, elle continue aujourd’hui de jouer un rôle central dans la vie de la ville de Genève et des Genevois. Bien que des bâtiments modernes aient émergé autour d’elle, elle conserve sa place de choix dans le cœur des habitants et reste un lieu de rassemblement communautaire et de célébrations, puisqu’elle abrite également la salle des mariages. Au-delà de son aura imposante, elle est aussi en tant que « plus que centenaire » vouée à évoluer.


©Magali Giradin

Le bâtiment de « style suisse » en impose : il est massif et visible de loin, typique du Heimatstil en vogue de la fin du XIXe au début du XXe siècle

Elle a bien sûr vécu quelques transformations intérieures, notamment dans le but de faciliter la vie du Service de l’état civil de la Ville. Mais elle est également le témoin de changements sociétaux plus profonds, qu’ils touchent à la vie, à la mort ou à l’union de deux personnes. Depuis 1909, la société a changé… et la mairie avec elle, tout en gardant sa superbe d’antan.

©Magali Giradin

Un bâtiment que l’on visite au moins une fois dans sa vie

Le Service de l’état civil, qui a pris ses quartiers au sein de la mairie des Eaux-Vives, dépend du Département de la cohésion sociale et de la solidarité. Christina Kitsos, en charge du département, explique que le service emploie 33 collaborateurs, dont 19 officiers de l’état civil disposant d’un brevet fédéral. On y enregistre les commandes de cartes d’identité, on y délivre les attestations de séjour et de domicile, on y établit les certificats de vie… et les officiers procèdent également sur place à la célébration des mariages.

« Au sein de ce département, on est au contact de la population du plus jeune âge jusqu’au décès. » La Genevoise l’affirme : chaque citoyenne et citoyen vient ici au moins une fois dans sa vie.

En 2022, près de 28 500 commandes d’actes et environ 5000 enregistrements de naissance et autant de cartes d’identité ont été enregistrés. « C’est une activité très importante. »
Durant la pandémie de Covid-19, le service a continué à fonctionner, notamment en ayant réussi à développer les prestations numériques.

Parmi les grandes nouveautés de ces dernières années, le mariage pour toutes et tous. En effet, depuis le 1er juillet 2022, les couples de même sexe peuvent s’unir par le lien du mariage. « En une année, il y a eu une soixantaine de mariages de personnes du même sexe et plus de 100 conversions de partenariats enregistrés en mariages », souligne Christina Kitsos.

En 2022, près de 28 500 commandes d’actes et environ 5000 enregistrements de naissance et autant de cartes d’identité ont été enregistrés.

Lorsqu’elle évoque le bâtiment de la mairie des Eaux-Vives, Christina Kitsos n’hésite pas à employer le mot « magnifique » pour le décrire, « aussi au niveau patrimonial, c’est un bâtiment qui a une riche histoire et une architecture remarquable ». Mais son accessibilité, notamment pour les parents avec une poussette et les personnes à mobilité réduite, « doit vraiment être améliorée ». Un projet de rénovation sera déposé cette année au Conseil municipal. « Je souhaite vraiment que ça avance. Tout le monde doit pouvoir venir ici sans difficulté. »

©Magali Giradin

 

Un bâtiment chargé d’histoires

La Cheffe du Service de l’état civil Laure Da Broi, Eau-Vivienne pure souche, a toujours eu l’impression que le bâtiment de la mairie des Eaux-Vives « était un vieux château ». Elle aborde d’emblée l’épineuse problématique de l’accessibilité : cela fait 19 ans qu’elle est là, et 19 ans qu’elle se bat pour en améliorer l’accès : « Les limites de la beauté patrimoniale se heurtent aux besoins actuels. » Elle indique que chaque collaborateur a, au moins une fois, dû aider quelqu’un à monter les marches qui mènent à l’intérieur du bâtiment. « Une plate-forme pour les personnes en situation de handicap a bien été installée, mais elle obstrue complètement le passage quand on la déplie… »

Des solutions ont par ailleurs été trouvées afin que les citoyens ne soient pas obligés de se déplacer à la rue de la Mairie les actes peuvent s’acheter en ligne et l’un des bureaux a été déplacé à la maternité pour éviter aux jeunes parents de « galérer avec leur poussette ». Un concours d’architecture va être lancé pour trouver des solutions innovantes et techniques qui satisfassent tout le monde. « Installer un ascenseur au milieu du bâtiment semble difficilement réalisable, car il faudrait couper la barrière.” Elle précise que le bâtiment n’est pas classé, mais qu’il est répertorié au patrimoine des bâtiments importants à Genève. « Il y a des contraintes de modifications considérables. »

Il s’agit d’un bâtiment qui appartient à la Ville et « qui a été amélioré au fil des années », souligne Laure Da Broi. Les murs nt été repeints et le parquet a été poncé, mais il grince toujours, avec ce charme désuet que l’on apprécie tant. Du double vitrage a été installé partout. Il permet de ne plus entendre les camions passer sur la fréquentée avenue Pictet-de-Rochemont lorsque des mariages sont célébrés dans la salle dédiée. Un projet de rénovation des luminaires est également en réflexion : « Avec ces gros lustres, il n’est pas toujours facile de travailler, on aimerait rajouter des éclairages ».

Le deuxième étage, un ancien appartement, a été transformé en bureaux. S’y trouvent le service des mariages ou encore le bureau des reconnaissances qui permet d’accueillir les parents ou les futurs mariés, « en respectant totalement la confidentialité des données qu’ils nous transmettent ».

Avant, tout se passait au guichet, « mais lorsque des personnes viennent pour un décès ou un mariage, elles nous racontent leur vie. C’est une grosse amélioration pour nous de pouvoir les recevoir dans un endroit à part ». L’ancienne cuisine a également été refaite. Le passe, qui existait déjà jusqu’au 1er étage, a été prolongé. « Il va de la cave au deuxième étage et permet de transmettre des dossiers et des documents rapidement. »

Laure Da Broi évoque la magie de certains mariages auxquels elle a pu assister en tant qu’officière de l’état civil : « Déjà, quand les gens viennent, ils trouvent l’endroit somptueux. Lors d’un mariage, ils ont besoin d’être reçus dans un endroit qui a quelque chose de magique, de majestueux… de particulier pour ce jour particulier. » Elle ne peut pas s’empêcher de nous raconter l’histoire de ce couple : elle a 82 ans et lui, 85. Ils ont décidé de se marier « en catimini, car c’était leur histoire à eux ». Les deux tourtereaux s’étaient rencontrés lorsqu’ils étaient jeunes, ils avaient flirté ensemble puis avaient vécu leur vie chacun de son côté. Ils se sont retrouvés à 80 ans : « Ils sont allés boire un café et l’histoire a redémarré. »

« Déjà, quand les gens viennent, ils trouvent l’endroit somptueux. Lors d’un mariage, ils ont besoin d’être reçus dans un endroit qui a quelque chose de magique, de majestueux… de particulier pour ce jour particulier. »


©Magali Giradin

Lorsqu’ils sont arrivés à la mairie des Eaux-Vives, ils étaient « comme des adolescents ». On sent encore l’émotion de Laure Da Broi lorsqu’elle repense à cette union atypique. « Ils étaient extraordinaires, avec une énergie amoureuse qui dépassait tout ce qu’on avait vu jusque-là. En quittant la cérémonie, je me suis dit : il n’y a pas d’âge pour s’aimer. » Elle glisse encore : « Il n’y a qu’ici que l’on peut voir ça. Il n’y a aucun modèle, aucun schéma chez nous. En fait, l’amour n’est même pas une condition au mariage, il n’y a aucun moyen de le vérifier… on ne peut vérifier que des conditions légales. »

 

« »

Vous aimerez aussi :

Édito

Élections fédérales 2023 : six sur sept !

Votre mobilisation sans faille permet à six des sept candidats soutenus par la CGI d’être élus ! C’est tout à fait remarquable.
Christophe Aumeunier
2 minutes de lecture