Les joyaux des berges de la rade

24 juin 2021
2 158 vues
16 minutes de lecture

Les immeubles de prestige dont les façades se reflètent sur la surface de la rade constituent incontestablement un atout de premier ordre pour Genève. Sur la rive droite, de véritables perles y furent érigées à l’origine pour accueillir les touristes et hommes d’affaires. Elles constituent une véritable carte de visite pour la cité de Calvin.

Il n’est pas aisé de dresser un inventaire exhaustif des bâtiments historiques qui embellissent la rade de Genève. Cela fait des siècles que les habitants de la ville ont redoublé d’efforts pour rendre les abords de la cité suffisamment attrayants pour inciter marchands, artisans et commerçants à y déposer leurs balluchons et à contribuer ainsi à la fortune des habitants de la cité. L’essor des activités liées à l’horlogerie et à la bijouterie a aussi assuré le bien-être de la population, ce qui a poussé les artisans et commerçants à se rallier au protestantisme qui leur servit de précepte de vie.

© Magali Girardin

Toutes ces règles ont été appliquées lors de la construction des immeubles qui offrent une vue panoramique impressionnante sur la rade de Genève. Quelle que soit la perspective, on découvre à chaque détour un joyau de l’architecture. Il faut pourtant trouver le bon angle qui permet d’apprécier à sa juste valeur les trésors d’ingéniosité et de délicatesse qu’il a fallu déployer pour concrétiser les idées qui trottaient dans la tête de tous ceux qui ont inventé la voie la plus judicieuse pour exprimer leur génie artistique. Dès lors, ce n’est pas un hasard si aujourd’hui encore, la préservation et la restauration des chefs-d’œuvre de l’architecture d’antan font qu’ils renaissent dans l’écrin exceptionnel que constitue la rade de Genève.

Le commerce stimule les échanges de marchandises

© Magali Girardin

La construction des villes riveraines du lac a largement profité de l’utilisation des barques sur le Léman. Mentionnées dans les archives de Savoie, leur présence sur le Léman furent inspirées des galères qui les y précédèrent. Celles-ci ont été mises à contribution pour transporter des marchandises d’une ville lémanique à l’autre et, surtout, pour aller chercher des pierres dans les carrières de Meillerie pour construire les villas et autres bâtiments qui furent érigés à Genève. Les barques arrivaient dans les ports de la ville. Sur la rive gauche, l’actuelle place du Molard (à l’époque en grande partie inondée) servait de lieu d’accostage pour les embarcations, alors que, sur la rive droite, cela se faisait dans le port naturel des Pâquis, qui a été comblé en 1862 et où a été érigé en 1877 le mausolée de Charles II d’Este-Guelph, duc de Brunswick qui légua toute sa fortune à la ville.

La démolition des fortifications, à partir de 1850, insuffla un renouveau à tout ce quartier. Des immeubles et hôtels de luxe naissent alors sur les terrains situés à proximité des rives, jusqu’alors délaissées en raison des inondations que l’on y craignait avant la régularisation du plan d’eau.

LE BEAU-RIVAGE MÉRITE BIEN SA RÉPUTATION

© Magali Girardin

L’idée de construire un hôtel de luxe à côté du débarcadère de la rive droite revient à Jean-Jacques et Albertine Mayer, un couple suisse d’origine allemande passionné des lieux. Au fil des ans, l’établissement inauguré en 1865 s’est hissé au rang de référence en termes d’hébergement hôtelier de luxe sur le plan helvétique et européen. Jusqu’en décembre 2020, cinq générations de Mayer se sont succédé à la tête de l’hôtel qui compte six salons de réception, 72 chambres de standing et 23 suites offrant pour la plupart une vue directe sur le jet d’eau et le Mont-Blanc. Leurs parquets ont été foulés par d’illustres témoins de leur époque.Repris fin 2020 par la dynastie espagnole Casacuberta, en pleine période plombée par la pandémie de coronavirus et après une lourde rénovation, l’établissement a vécu une période particulièrement difficile qui l’a obligé à fermer ses portes provisoirement avant de redémarrer son exploitation sous de nouveaux auspices. Durant toute cette période, la direction est restée active, sous la houlette de Lars Wagner.

Lars Wagner © Magali Girardin

Dans le métier depuis 35 ans et appelé au poste de directeur général au début de 2019, celui-ci a pour philosophie de mettre l’accent sur le développement des affaires. « Si vous avez une direction qui vous suit, c’est toujours plus facile de travailler dans ce sens », indique-t-il. « Le changement de propriétaire ne modifie en rien l’orientation de la maison. Il faut attirer la clientèle suisse, qui représente aujourd’hui 60% de celle-ci, contre 15% seulement auparavant. »

Des travaux de réfection sont encore prévus, en particulier en ce qui concerne les chambres. La gestion du personnel a été revue en mettant l’accent sur la polyvalence de la formation des employés, basée sur les permutations de poste. « Notre but est d’offrir une vingtaine d’heures de perfectionnement par année aux employés ». Un effort qui semble porter ses fruits. L’hôtel vient d’être désigné meilleur employeur de Suisse romande dans la catégorie des établissements hôteliers dans l’enquête réalisée par le magazine Bilan en 2021.

LE PALAIS WILSON, UNE VOCATION INTERNATIONALE EN FAVEUR DES DROITS HUMAINS

© Magali Girardin

Construit entre 1873 et 1875 par l’architecte genevois Jacques-Elisée Goss pour accueillir la noblesse européenne dans ses pérégrinations à travers le vieux continent, l’hôtel National, futur Palais Wilson, comportait à l’origine 225 chambres (dont 79 avec une salle de bain individuelle) réparties sur cinq étages. L’hôtel n’attira pas assez de clients pour équilibrer ses comptes et fit faillite peu après son ouverture, avant d’être repris par la Banque fédérale pour un montant de 700 000 francs.Lors de son passage à Genève en 1920, où il avait pour mission de trouver un logement au personnel de la Société des Nations (SdN), sir Eric Drummond, alors son secrétaire, considéra que ce vaste bâtiment serait idéal pour abriter les fonctionnaires et politiciens chargés de travailler pour l’organisation. La SdN achète ainsi ce bâtiment pas encore terminé pour 5,5 millions de francs. Les architectes sont alors mandatés pour transformer les chambres en bureaux, les salons en salle de réunion et les locaux de service en dépôts de matériel et d’archives. En hommage à l’engagement du président américain Woodrow Wilson en faveur de la paix, l’hôtel National est rebaptisé Palais Wilson et le Quai du Léman Quai Wilson.

© Magali Girardin

Trop à l’étroit dans ces murs, l’Organisation des Nations Unies (ONU), qui a succédé à la SdN, procède à un échange de terrain avec le Parc de l’Ariana et y entreprend la construction du Palais des Nations, où elle installe ses bureaux et ses salles de réunions en 1937.Au Palais Wilson, en revanche, le manque d’entretien et deux incendies (en 1985 et 1987) provoquent la dégradation du site. Celui-ci subit d’importantes rénovations en 1993 et 1998 avant d’être loué au Haut-Commissariat aux droits de l’homme (HCDH).

Julien Monney  © Magali Girardin

Depuis, des travaux d’entretien y sont constamment réalisés. Le chauffage et le rafraichissement du bâtiment sont assurés par un système de pompage au lac propre au bâtiment, nous explique Julien Monney, responsable de la gestion et de l’entretien du Palais Wilson à la direction du service de gestion immobilière de la Fondation des immeubles pour les organisations internationales (FIPOI). Des améliorations ont été apportées à l’isolation des fenêtres. Des verres électrochromes (qui se foncent avec l’augmentation de l’ensoleillement) sont posés en façade pour éviter la surchauffe des bureaux et des salles de conférence en été. Une cafeteria de 60 places a aussi été aménagée au rez-de-chaussée. « Depuis 1998, ce sont surtout des travaux courants qui ont été prodigués au bâtiment », précise Julien Monney. « L’architecture des lieux ne se prête pas à une vision moderne des espaces de travail. Les surfaces de distribution des bureaux (couloir, escaliers, etc.) sont importantes vis-à-vis des bureaux eux-mêmes, cette typologie ne correspond plus aux besoins actuels des locataires de bureaux. » Mais les choses pourraient évoluer : le propriétaire procède à une étude visant à rénover l’intérieur en préservant l’aspect historique du bâtiment.

HONNEUR À LA SCIENCE À LA VILLA BARTHOLONI

© Magali Girardin

Construite en 1829 et 1930 à la demande des frères Jean-François et Constant Bartholoni sur un vaste domaine qu’ils venaient d’acquérir, la villa éponyme offre une vue spectaculaire sur le lac et le cirque alpin qui s’impose en arrière plan. Pour la réalisation de la bâtisse, les deux frères demandent à l’architecte Félix-Emmanuel Callet de dessiner non seulement une villa estivale, consacrée au délassement, mais aussi de modeler le parc à l’anglaise et les cheminements qui descendent en pente douce jusqu’aux berges du lac ainsi qu’un chalet utilisé pour accueillir amis et connaissances.

© Magali Girardin

L’idée d’y installer un musée d’histoire des sciences remonte à 1962 et son inauguration se concrétise deux ans plus tard. Quand on demande quel est à son goût l’objet le plus marquant de la collection, Laurence-Isaline Stahl Gretsch, responsable du musée, répond du tac au tac avec fierté : « C’est la maison elle-même ». Restaurée récemment, la décoration des murs et des plafonds est impressionnante. Le rez-de-chaussée comprend des pièces d’apparat finement décorées, avec un grand salon de réception, la salle à manger, la salle de billard, un cabinet de lecture et une salle de bain. La renommée du musée passe aussi par la qualité, la finesse et la précision qui ont été portées à la restauration. On y retrouve sur les murs et au plafond des scènes mythologiques d’inspiration pompéienne.

Laurence-Isaline Stahl Gretsch © Magali Girardin

« Tout a été fait pour que ce soit la maison qui soit toujours gagnante ».

Des travaux de conservation et de restauration ont été effectués entre 1985 et 1992. Ils ont porté sur la réfection des peintures murales et des plafonds ainsi que des stucs. Le rez-de-chaussée était consacré à l’accueil, aux réceptions et au délassement alors que le premier étage abritait les appartements de maîtres, les chambres d’amis et celles des domestiques.

© Magali Girardin

Le nombre des objets exposés dans le musée est impressionnant et l’accent est porté sur leur utilisation, laquelle témoigne de l’avancée très marquée de la science à Genève au cours des années où les découvertes scientifiques proliféraient. Ces objets sont issus des cabinets de savants tels que De Saussure, Pictet, de la Rive, Colladon, etc. qui ont marqué le siècle des lumières. Ils sont des témoins de la première heure de recherches visant à replacer les avancées scientifiques dans leur contexte original, dans le domaine de l’astronomie, de la microscopie, de l’électricité et de la météorologie. Cela permet de saisir les défis qui se heurtaient à leur compréhension. « Le musée organise des expositions temporaires qui occupent le tiers du musée, ainsi que la Nuit de la science qui a lieu tous les deux ans », précise fièrement Laurence-Isaline Stahl Gretsch.

LE RESTAURANT DE LA PERLE DU LAC

© Magali Girardin

Le cadre dans lequel est implanté l’établissement est admirable. Érigé à deux pas des berges du lac, il nous invite à nous assoir sur sa terrasse qui offre une perspective unique sur la rade, le jet d’eau et les montagnes enneigées. La parcelle appartenait depuis 1825 à Jean-François Bartholoni, illustre banquier parisien d’origine genevoise, qui y construisit un hôtel particulier et un chalet servant alors de dépendance sur un terrain descendant en pente douce jusqu’aux berges du Léman. La ville de Genève y hérite de trois parcelles. Hans Wilsdorf, fondateur et directeur de la fabrique d’horlogerie Rolex acquiert l’une d’entre elles et transforme le chalet qui s’y trouvait en confortable et spacieuse résidence. L’établissement comprenait alors quelques chambres d’amis, les logements du personnel et des écuries.

L’existence du restaurant remonte à 1930, quand Fritz Doebeli, un restaurateur de renom, demanda à la municipalité de Genève à le transformer en restaurant-crèmerie. Il y vécut son apogée dans les années 1970-1980 et décrocha même une étoile au Guide Michelin. Cet établissement appartenant à la ville de Genève est situé à quelques pas des institutions internationales. Il attire une clientèle exigeante, mais aussi amoureuse de ses anciens décors. Par beau temps, sa terrasse de 80 places est envahie de fins gourmets en quête de son magnifique emplacement. Si le ciel se couvre, les clients peuvent se rabattre sur le restaurant intérieur qui peut contenir jusqu’à 60 couverts.

Bekim Haziri et Gérard Lamarche © Magali Girardin

Fidèle depuis 25 ans au service du restaurant, Gérard Lamarche en assure la direction avec Bekim Haziri au poste de gérant depuis 2011. « Nous sommes satisfaits de notre collaboration avec la ville de Genève, surtout en cette période de Covid qui s’avère très difficile. Par chance, nous avons eu son soutien aussi bien en ce qui concerne le loyer que les aides pour le chômage du personnel », explique Gérard Lamarche.

La décoration intérieure est peut-être un peu désuète, mais c’est aussi ça qui donne tout son charme à l’établissement. Après tout, n’est ce pas ce qui se trouve dans les assiettes qui compte ? « Notre cuisine est très française, mais aussi adaptée à la clientèle internationale. Nous profitons surtout de notre situation exceptionnelle.

Nous sommes le seul restaurant de la ville de Genève qui soit effectivement au bord du lac », poursuit Gérard Lamarche. « Quand le beau temps revient, tout le monde se souvient de nous », ajoute Bekim Haziri.

« »

Vous aimerez aussi :

Édito

Editorial - Juin 2021

Merci Pascal !
Christophe Aumeunier
4 minutes de lecture