L’église orthodoxe russe de Genève

25 août 2021
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L’église russe compte parmi les édifices religieux les plus flamboyants de Genève. En 2014, elle a fêté les 150 ans du début des travaux de sa construction à l’emplacement de ce qu’étaient auparavant les fortifications de la ville, qui venaient d’être démolies.

© Magali Girardin

Dans la foulée de la révolution de 1846 et de la modernisation de son urbanisme, le gouvernement genevois adopte la liberté de culte en 1847, puis accorde aux différentes religions actives en ville de Genève des parcelles de terrains situées à l’emplacement de l’ancien carcan que constituaient les ouvrages de défense de la ville. L’Église catholique lance la construction de Notre-Dame à Cornavin en 1852, l’Église anglicane à la rue du Mont-Blanc en 1853, un temple maçonnique au boulevard Georges-Favon en 1858 et finalement l’église consacrée à la religion orthodoxe russe en 1864 à l’actuelle rue Rodolphe-Toepffer, sur le plateau de Champel, dans le quartier des Tranchées, alors exempt de tout autre bâtiment.

Une collaboration internationale qui porte ses fruits

Achevée en 1866, l’église vint remplacer un précédent lieu de culte installé en 1854 dans une villa des Eaux-Vives (la villa Jargonnant, démolie depuis pour y ériger l’école des Eaux-Vives). Celle-ci s’avéra assez vite trop exigüe pour contenir toute la communauté. Son orientation sur le plateau des Tranchées (premier quartier résidentiel de Genève) servit ensuite de repère lors de la construction de tous les autres bâtiments qui y furent construits ultérieurement selon la même trame et un alignement identique. Perchée aux premières loges sur le plateau des Tranchées, avec vue sur la rade et le jet d’eau, l’église s’impose au regard des badauds loin à la ronde, en dépit de sa taille relativement modeste.

La direction du projet de construction de l’église russe est assurée par David Ivanovitch Grimm, architecte russe d’origine allemande et professeur d’architecture à l’Académie impériale des beaux-arts de Saint-Pétersbourg. La supervision du chantier est confiée quant à elle au célèbre architecte genevois Jean-Pierre Guillebaud, des artisans locaux se chargeant de sa réalisation. Les travaux de construction s’achèvent en septembre 1866, sans aucune aide financière du gouvernement russe et l’église est consacrée le même mois.

Les premières opérations d’agrandissement et de restauration

© Magali Girardin

Un bâtiment aussi imposant nécessite toujours des travaux d’entretien et de rénovation importants. D’autant plus que dans une église, l’utilisation temporaire de tels volumes engendre des variations de chaleur et d’humidité qui sont très contraignantes quand il s’agit de chauffer et de refroidir les différentes pièces du bâtiment. En 1913, afin d’éviter que les dégradations n’interviennent trop profondément au cœur du bâtiment, il a fallu redorer les coupoles et reprendre les ferronneries ornementales sur la coupole nord.

En 1916, à l’occasion du 50e anniversaire de la construction de l’église que l’on dénommait désormais la cathédrale de l’Exaltation de la Sainte et Vivifiante Croix, l’idée d’ériger un campanile comme cela était prévu dans le plan initial de l’architecte Grimm revient sur le tapis. Le coût élevé que cela présentait imposa d’y renoncer une nouvelle fois. Plutôt que d’ajouter un beffroi sur le côté du bâtiment existant, la décision fut prise d’avancer le mur d’entrée en encorbellement du côté ouest de manière à pouvoir accoler un clocher au-dessus du porche central. Cela permettrait dans un même temps d’agrandir la nef de l’église. Cet élargissement des fondations fut assuré par des piliers ronds et pierres de Seyssel et des éléments en béton ayant l’apparence de blocs de pierre recouverts d’une peinture minérale pour combler les parties vides. C’est également à cette période que l’église reçoit son neuvième bulbe, ce qui la propulse au rang d’ordre des anges. Des travaux de rénovation sur des peintures sont simultanément entrepris à l’intérieur de l’édifice.

La restauration de 1966 et le classement de 1979

En vue de fêter dignement le centenaire de l’église en 1966, d’importants travaux d’entretien s’avèrent nécessaires pour redonner tout son lustre à l’ouvrage. Il s’agit de remplacer le toit de l’édifice, de nettoyer la peinture des façades et de redorer les coupoles. La suie et la poussière déposées sur les peintures doivent être impérativement extirpées des décors intérieurs. Mais toutes ces interventions ne peuvent malheureusement pas être réalisées faute de financement à leur mesure, en dépit de toutes les recherches de fonds et autres implications des paroissiens.

© Magali Girardin

Une bouffée d’air frais arrive 13 ans plus tard lorsque le Conseil d’État de Genève décide de classer l’église russe édifice religieux historique et esthétique. Si cette distinction est un honneur, elle garantit surtout l’obtention d’un soutien financier de poids. Les travaux de restauration peuvent dès lors reprendre grâce à des subventions publiques accordées pour ce chantier entre 1983 et 1989.

Le dernier grand chantier de rénovation

La dernière grande restauration, qui devait s’étendre initialement de 2016 à 2017, s’est déroulée en deux étapes. En 2014 pourtant, il a fallu lancer d’urgence une campagne préliminaire pour préserver l’étanchéité des toitures afin d’éviter que l’eau pénètre à l’intérieur de l’édifice et provoque des dommages irréversibles sur les fresques et les peintures avant leur rénovation.

© Magali Girardin

La partie supérieure des bulbes réalisés en cuivre a pu être sauvegardée, alors que leur embase a dû être remplacée, tout comme les fûts qui soutenaient les coupoles ainsi qu’un certain nombre de tuiles.

Une fois éliminées les causes possibles de dégradation des parties intérieures, le chantier de restauration proprement dit a pu commencer. Il portait sur une bonne partie des peintures et fresques qui se trouvaient dans un état de détérioration déjà plus ou moins avancé et sur les endroits où des interventions faites hâtivement et partiellement en 1966 se sont avérées malencontreuses. Censée protéger les décors, la couche de vernis vinylique les faisait en réalité disparaître. Parallèlement, c’est la technique de décoration réversible utilisée en 1916 qui a dès alors été adoptée. Au total, pas moins de 1,8 million de francs ont été consacrés à la restauration des peintures
de l’église.

En quête d’un confort accru

© Magali Girardin

Un système plus efficace et mieux adapté a été retenu pour améliorer le chauffage de l’église. Le lieu de culte peut en effet accueillir jusqu’à 300 personnes lors de grandes occasions. C’est ce chantier qui est encore visible de nos jours à l’arrière de l’édifice. Il consiste à excaver tout le jardin se trouvant à l’arrière de l’église et une partie sous celle-ci. C’est cette cavité qui abritera la nouvelle pompe à chaleur. Elle permettra de décupler le flux d’air chaud, celui-ci passant de 600 à 6000 mètres cubes par heure. Les bouches d’expulsion de l’air seront aussi déplacées au sein de l’édifice. Au lieu de rejeter l’air directement au pied des murs, elles seront situées plus près de son centre pour éviter que le flux lèche les peintures et les détériore inéluctablement au fil des ans.

FRANÇOIS MOSER, PRÉSIDENT DU BUREAU DE L’ASSOCIATION DE LA SOCIÉTÉ DE L’ÉGLISE RUSSE

© Magali Girardin

Créée en 1920, la Société de l’église russe (SER) a alors pour objectif de protéger la cathédrale de l’Exaltation de la Sainte et Vivifiante Croix des velléités de l’Union soviétique et de la Russie de récupérer les bâtiments religieux construits en Occident avant la révolution. François Moser accepta de faire partie du comité de la SER, puis en devint président. L’édifice orthodoxe accueille de nombreux fidèles en raison de la magnificence de son architecture.

Nombreux sont les Russes qui émigrèrent à Genève à compter de 1917, au moment de la révolution bolchévique, mais c’est surtout depuis 1990 et la chute du mur de Berlin, qu’une communauté importante de Russes acheva son périple à Genève et se rendit avec ferveur à l’église russe de Genève pour s’y recueillir. « La cité de Calvin a accueilli avec enthousiasme jusqu’à 6000 familles russes qui constituèrent dès lors une importante diaspora », note à ce sujet François Moser.

L’église est aussi très prisée pour les concerts qui s’y donnent. C’est en particulier sous l’impulsion de Wladimir Diakoff et de sa famille que ce lieu de culte servit pendant de nombreuses années de cadre à l’expression artistique des paroissiens et des passionnés de musique chorale russe.

Aujourd’hui, la communauté de l’église est constituée à une très forte majorité de citoyennes et citoyens russes affiliés à l’Église du patriarcat de Moscou. Responsable du financement des travaux de rénovation de l’église, François Moser est satisfait de savoir que les moyens financiers actuellement disponibles lui permettront de réaliser et d’achever les importants travaux de rénovation et de restauration de l’édifice. Les subventions accordées par la Confédération, le Canton et la Ville ainsi que par des entreprises et fondations genevoises garantissent en effet leur financement jusqu’à la fin des travaux en cours.

PAUL TZVETKOFF, ARCHIPRÊTRE DE LA CATHÉDRALE

© Magali Girardin

Né en France où il a fait ses études, l’archiprêtre Paul Tzvetkoff a achevé sa formation en théologie à Munich avant d’être ordonné prêtre en 1973 et de s’établir dans la banlieue genevoise. Bien qu’ayant atteint aujourd’hui l’âge de la retraite, il continue d’officier au service de la communauté orthodoxe russe de Genève et de son église. Celui que tout le monde appelle ici Père Paul se fait un plaisir de nous faire visiter tous les recoins de l’édifice dont la beauté des lieux est impressionnante.

À peine entré dans ce lieu de culte, on est frappé par la richesse du décor peint sur les murs et le dôme principal. Dans la tradition orthodoxe, l’autel se trouve protégé par trois portes principales. Avec ses deux vantaux enluminés, la porte centrale, dite « royale », derrière laquelle seuls les hommes d’Église ont le droit d’accéder, est imposante. La richesse iconographique qui orne le décor des murs, colonnades, sols et dômes que nous découvrons en compagnie du père Paul est époustouflante, d’autant plus que, depuis la dernière campagne de restauration, les peintures et enluminures ont été assainies et expurgées des poussières et salissures accumulées au fil des ans.

Lorsque l’on pénètre dans le sous-sol de l’église, on tombe sur une salle faisant office de bibliothèque contenant plusieurs centaines d’ouvrages principalement écrits en russe, mais pouvant aussi servir de salle de réunion et accueillir des groupes de fidèles lors de fêtes. Une sortie de secours a aussi été percée au travers des épaisses fondations de l’église pour des raisons de sécurité dans l’édifice.

Père Paul reconnaît avoir passé de bons moments à Genève. Il déplore cependant que les réformes engagées par Mikhaïl Gorbatchev, lorsqu’il était président de l’URSS, aient coïncidé avec un changement de mentalité des nouveaux fidèles de l’église russe de Genève.

Les relations avec la ville de Genève se sont quelque peu érodées après le décès de l’archevêque Antony de Genève (de son vrai nom André Bartochevitch), en octobre 1993. Père Paul, qui l’avait bien connu, explique que les relations sont plus tendues au sein de la paroisse entre les fidèles issus des hautes couches sociales des anciennes sphères dirigeantes russes et les nouveaux arrivants russophones et slaves. « Le flux de conversions de personnes cultivées et francophones provenant d’autres horizons s’est tari », regrette-t-il.

STEPHAN MELESHKO, UN ARCHITECTE INSPIRÉ

© Magali Girardin

Après avoir vécu en Suisse alémanique où son père William était sorti de l’EPFZ avec un diplôme d’architecture en poche, la famille de Stephan Meleshko débarqua à Genève en 1984. Le chef de famille espérait qu’en pleine crise économique, il décrocherait plus facilement un moyen d’y exercer son métier qu’outre-Sarine.

À défaut de trouver un travail dans l’architecture, le père et le fils eurent la chance d’établir de bons contacts avec la communauté russe et en particulier avec l’archevêque orthodoxe de Genève. Ce dernier proposa à William Meleshko de reprendre la direction des travaux de restauration. Vu l’ampleur de ceux-ci, William demanda à son fils Stephan – qui avait suivi une formation d’architecte-paysagiste à la Haute école du paysage, d’ingénierie et d’architecture (HEPIA) de Lullier – de l’assister dans cette mission, puis de la reprendre dans son intégralité. Pas moins de 1,8 million de francs ont été consacrés au nettoyage – par des artisans chevronnés – des œuvres qui décoraient les façades, parois, portes et toitures de l’édifice.

« On se trouve ici en présence d’un joyau qui combine la beauté de la construction byzantine et la qualité suisse », relève Stephan Meleshko en parlant de la cathédrale de l’Exaltation de la Sainte et Vivifiante Croix. « On est en face d’un petit bijou d’architecture qui est désormais très bien conservé. Même en Russie, on ne trouve aucune église d’une telle qualité. Cela est perceptible jusque dans les plus petits détails », poursuit-il. Au départ, il s’agissait aussi de réaliser une salle supplémentaire, ce qui s’est finalement avéré impossible.

Grâce au nouveau système de chauffage, l’air pourra circuler au sein de l’église en consommant moins d’énergie. « Ce n’est pourtant pas tellement cette économie qui a été déterminante dans le choix de cette solution, mais cela réduit de ce fait sensiblement les risques d’incendie, car jusqu’à présent, l’ancienne chaufferie à gaz était située à l’intérieur même du bâtiment », précise Stephan Meleshko.

Une fois le chantier du nouveau système de chauffage achevé, l’espace qui sera occupé en sous-sol par la pompe à chaleur sera remblayé en surface et le parc qui y sera créé sera planté d’arbustes de différentes essences. « Nous voulons surtout en faire un espace plus aéré », ajoute Stephan Meleshko.

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