Le temple de Carouge à l’aube de son bicentenaire

23 décembre 2021
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Le lieu de culte protestant de la cité sarde – qui va fêter ses 200 ans en 2022 – a fait l’objet d’extensions et d’embellissements successifs qui lui ont imprégné le style majestueux qu’on lui connaît aujourd’hui. Les dernières rénovations d’envergure remontent aux années 1988 à 1993, puis de 1999 à 2003.

©Magali Girardin

Le contexte socioreligieux dans lequel évolua le protestantisme à Carouge est marqué par de nombreux retournements de situations. La première graine ayant apporté une réflexion dans la population des habitants de la cité de Carouge remonte à 1715. De passage dans la région, le pasteur Lambercier recense le nombre de foyers et constate qu’entre 16 et 20 enfants de religion réformée sont en âge scolaire. Un an plus tard, un rapport élogieux sur le pasteur Henri Samuel Chatelanat est adressé à Turin. Le roi de Sardaigne permet aux protestants habitant Carouge de bénéficier des services d’un pasteur.

Suite à l’occupation de la Cité par les soldats de Napoléon, les cultes tant protestants que catholiques sont interdits de 1793 à 1803. Carouge ne retrouve sa liberté religieuse qu’en 1816, aux termes du Traité de Turin.

Après avoir été rétrocédée au Piémont conformément aux accords signés dans le traité de Paris de 1814, la cité sarde revint à la Suisse, et les Carougeois et Carougeoises obtinrent le droit de disposer d’un lieu de culte protestant pour y pratiquer leur foi. Cela a probablement stimulé les fidèles à profiter de cette aubaine pour se lancer dans la construction d’un lieu de culte protestant qui représente un projet que l’on peut qualifier d’incroyable dans le contexte politico-religieux de l’époque.

Un étonnant retournement de situation

L’incertitude qui régnait alors n’était pas particulièrement propice à une parfaite paix religieuse. Pourtant, victimes des marchandages géopolitiques, tant les habitants de la rive gauche que ceux de la rive droite de l’Arve firent preuve de beaucoup de compréhension pour leurs voisins qui les mirent à l’abri des désaccords religieux.

Le Consistoire carougeois profita de cette embellie pour envisager de bâtir leur temple à la place des Armes. Suite au rattachement de Carouge à Genève, ce fut finalement la place du Marché au bois (renommée depuis place du Temple) qui fut choisie pour y construire un temple. Les fondations, les murs et le toit y sont alors promptement érigés entre 1814 et 1818, sous la férule de l’architecte Marc-François Brolliet, puis complétés dans la foulée par celle d’un imposant portique au cours des années 1820 et 1822. Réalisé en roche blanche, celui-ci est dominé par un fronton triangulaire dressé sur un linteau dorique supporté par quatre colonnes toscanes. L’inauguration formelle du lieu de culte situé au cœur de la cité sarde intervint finalement le 18 août 1822.

©Magali Girardin

Des premiers travaux à la reconnaissance fédérale

La particularité du temple de Carouge est d’avoir fait l’objet d’une progressive évolution de nature architecturale au fil des ans. C’est ainsi qu’à partir d’une simple salle carrée comportant un plafond vouté et des galeries, on vit peu à peu émerger un véritable chef-d’œuvre de l’art néo-classique. Un clocheton abritant deux cloches fit son apparition sur le toit, à l’arrière du bâtiment. Pour la petite histoire, on se rendit compte qu’il était nécessaire d’adjoindre deux galeries latérales au bâtiment, car sa capacité ne suffisait pas pour répondre aux besoins de la paroisse.

Alors qu’il venait d’être installé à la tête de la paroisse en 1917, le pasteur Ernest Christen commence à insuffler un esprit que l’on peut qualifier de révolutionnaire dans la décoration et l’aménagement intérieurs du bâtiment. Il ne ménagea pas ses efforts en sculptant lui-même la chaire, la porte de l’Ancien Testament et celle de la communion. Ce sont assurément ces efforts qui incitèrent le Conseil d’État à classer le 30 décembre 1921 le temple et la parcelle sur laquelle il est érigé. Au cours de la même année, le peintre Eric Hermès propose de peindre une vaste fresque représentant la Nativité – heureusement préservée jusqu’à ce jour – sur le fronton intérieur de l’église.

©Magali Girardin

De véritables chamboulements

Entre 1923 et 1925, d’importantes modifications sont apportées à l’édifice, en l’occurrence l’agrandissement de la galerie transversale effectué afin d’y installer les orgues, de même que pour créer un espace destiné au chœur. La tribune de l’orgue fut reconstruite entre 1925 et 1930 et de nouveaux vitraux furent réalisés par le maître-verrier Charles Wasem d’après des dessins d’Eric Hermès.

Les premières orgues font leur apparition en 1924 pour rem- placer un harmonium qui accompagnait jusqu’ici les chants des paroissiens. Ce n’est qu’en 1936 qu’un système de chauffage au sol est installé afin d’offrir un surcroît de confort aux Carougeois et Carougeoises fréquentant le temple. Mais celui-ci est aussi le bienvenu pour maintenir en bon état les orgues, peintures et sculptures qui embellissent les lieux. Il faudra pourtant attendre jusqu’en 1954 pour que le bâtiment décroche son inscription à l’inventaire suisse des biens culturels d’importance régionale et nationale.

Dans la foulée, le plancher des combles est rénové et la voûte est recouverte d’un matelas de laine de verre assurant une meilleure isolation thermique de celle-ci. Les parois extérieures, la toiture et le clocher font l’objet d’une réfection en 1962, puis c’est au tour de la charpente de l’être un an plus tard. À cette même date, on procède à l’installation d’un système de commande électrique destiné à commander la sonnerie des cloches. Si l’on suit scrupuleusement la chronologie, on découvre encore que l’année 1963 est marquée par l’inauguration des nouvelles orgues réalisées par la Manufacture des Grandes Orgues.

Des réfections qui interviennent en plusieurs étapes

Les premiers grands travaux de rénovation de ce qui allait devenir un important lieu de culte pour les Carougeois et Carougeoises n’ont pourtant commencé qu’en 1986, année au cours de laquelle le Conseil de paroisse a nommé une commission dont le rôle était d’évaluer l’état du bâtiment. Ils se poursuivirent jusque dans le courant des années 1999 à 2003, lorsque Pierre Schweizer, ingénieur civil de l’Ecole polytechnique fédérale de Zurich (EPFZ), prit en charge cette mission et mit en exergue les courbures apparues sur les deux façades et la toiture, qui avaient provoqué la détérioration des assemblages de la charpente.

L’architecte Antoine Galeras relate dans une brochure dédiée à la restauration du temple que les travaux commencèrent par des mesures de renforcement sur les tirants et fermes de la charpente, puis par une correction de sa planimétrie ainsi que du traitement préventif de l’ensemble des bois. Il fallut aussi ravaler les tailles sur les façades nord, sud et ouest et procéder à la réfection de nouveaux enduits de finition à la chaux.

La toiture fit également l’objet d’une réfection tant en ce qui concerne les tuiles, les lattes et la sous-couverture que de la ferblanterie afin d’assurer l’étanchéité de l’ensemble du bâtiment. Ce sont tous ces travaux de restauration de longue haleine qui permirent au temple de survivre aux vicissitudes des ans et de demeurer un bâtiment historique phare de la charmante cité de Carouge.

Des compétences très particulières

Pierre Hiltpold ©Magali Girardin

« Contrairement à la tradition qui était de mise à l’époque de la construction des lieux de culte protestant, le temple de Carouge se distingue par un intérieur qui fit l’objet, après sa restauration de 1905, de chatoyantes décorations à partir de 1922. Celles-ci sont largement inspirées du style byzantin», note Pierre Hiltpold, qui a été président pendant douze ans de la Fondation pour la conservation des temples genevois construits avant 1907. « Contrairement à ce qui caractérise tous les autres lieux de culte protestant, les travaux ont mis l’accent sur l’intérieur du bâtiment, qui est entièrement peint », relève-t-il.

Dans le cadre du temple de Carouge, les travaux se sont concentrés sur la restauration du sol, puis des façades, des décorations et enfin de l’orgue. Ce genre de travaux de restauration exige des compétences particulières de la part des corps de métiers lors de toutes les phases des opérations de nettoyage des décors, de l’obstruction des fissures et de la retouche des peintures. « Ce sont toutes les sculptures sur bois peint qui exigent le plus de soin », précise Pierre Hiltpold. Cela implique d’apporter un soin tout particulier dans les interventions à chaque phase de la rénovation. « Il faut donc pouvoir faire appel à des experts aguerris dans ce domaine », poursuit-il. « Le coût des restaurations et de l’entretien des églises suscite naturellement un vaste débat au sein des paroisses. L’intérieur entièrement peint amplifie les coûts de restauration », explique-t-il.

Un intérieur flamboyant

Philippe Rohr ©Magali Girardin

« L’histoire du protestantisme se décline en trois strates bien distinctes », note Philippe Rohr, diacre de la paroisse de Carouge. La première est celle au cours de laquelle les protestants ont pu y vivre librement leur croyance, la deuxième commence quand ils ont pu se construire un lieu de culte et la troisième lorsque le pasteur Ernest Christen arriva à Carouge et prit en charge son ministère dans la paroisse, à partir de 1917. Un nouvel esprit commence alors à souffler sur le temple. « Ce jeune homme embrassa la carrière de pasteur à la suite d’un accident de montagne qui l’empêcha de devenir le brillant violoniste qu’il aurait pu être sans cela. Son aspiration consistait à allier l’art et la religion », poursuit Philippe Rohr. À côté de ses autres vocations de pasteur et de sculpteur sur bois, Ernest Christen consacra une bonne partie de son temps libre à écrire pas moins de douze livres.

C’est grâce à l’appui de l’architecte Antoine Leclerc, du peintre Eric Hermès, du maître-verrier Charles Wasem, du ferronnier Félix Wanner et du sculpteur A. Vettin, que l’on voit apparaître tous les nouveaux atours de l’église. Quant aux vitraux réalisés par le maître-verrier à partir des esquisses du peintre Eric Hermès, ils viennent remplacer les neuf baies vitrées. Ils représentent toutes les étapes majeures de la vie du Christ. L’intérieur du temple fait l’objet d’une profonde émergence de nature architecturale et artistique. Ce pasteur était doté de talents artistiques indéniables. Il sculpta l’ensemble des boiseries de l’église, y compris les portes, les colonnes, la galerie, la grande chaire et la Croix qu’Ernest Christen avait découverte un peu par hasard dans l’abbatiale de Romainmôtier. « Les sculptures sont la source d’une grande symbolique infinie et universelle », relève Philippe Rohr.

La monumentale fresque de la Nativité située au-dessus de la chaire reproduit cette scène avec des personnages que l’on reconnaît sous les traits d’authentiques Carougeois et Carougeoises de l’époque. Elle sera inaugurée le 22 février 1922. Huit panneaux représentant des épisodes de l’Ancien Testament sont ensuite érigés et la voûte est décorée entre 1925 et 1929. « On ne se rend pas bien compte aujourd’hui quelle brèche cela représente pour l’époque dans la manière de décorer l’intérieur d’une église », souligne Philippe Rohr en parlant de la fresque de la voûte.

©Magali Girardin

Des illuminations qui embellissent le parvis du Temple

Depuis 2019, les rues et places de Carouge étaient illuminées en fin d’année par des structures en métal souples et modulables qui transformaient ses principales artères. Une nouvelle vague d’illuminations artistiques a envahi cette année le cœur de la cité. Les illuminations sont présentes de manière accrue dans les cours de récréation de ses six écoles. Ce concept évolutif haut en couleur a évolué au fil des ans et s’est étendu cette année jusque devant le parvis du Temple de la cité sarde. Les illuminations sont apparues sous les traits de colombes blanches, imaginées et réalisées par le studio lyonnais Pataya, que l’on retrouve accrochées aux branches des quatre platanes décorant l’avant et l’arrière de la place du temple.

« Il s’agit d’éléments qui ont l’avantage de se déplacer facilement d’un endroit à l’autre à l’intérieur de la ville », souligne Alya Stürenburg Rossi, cheffe de service des affaires culturelles et de la communication de la ville. Celle-ci précise que la commune a opté cette année pour une solution qui s’avère à la fois écologique et économique. « On ne réinvente pas à chaque fois la décoration, on veut la valoriser. Il ne s’agit en effet pas de recycler les éléments de décoration d’une année sur l’autre, mais bien de proposer une solution novatrice d’upcycling évolutif », conclut Alya Stürenburg Rossi.

©Magali Girardin
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