Bâtiment de l’horloge : l’histoire de la mobilité dans son écrin industriel

2 février 2024
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À la Jonction, le Bâtiment de l’horloge est le témoin encore vivant du patrimoine industriel genevois et de l’histoire de la mobilité. Siège historique des TPG, le lieu a récemment vécu d’importants travaux de rénovation, tout en gardant sa superbe d’antan. Un subtil dosage entre traces du passé et renouveau.

Le Bâtiment de l’horloge est le berceau historique des Transports publics genevois (TPG). Il fut en effet, dès sa construction en 1899, le siège de la Compagnie genevoise des tramways électriques (CGTE), l’ancêtre des TPG. Tandis que le tramway se déployait à Genève, offrant de nouvelles perspectives de transport à ses habitants, une certaine architecture était diffusée à l’échelle planétaire par les élèves de l’École des beaux-arts de Paris. La bâtisse en possède toutes les caractéristiques : pierre de taille, balcons à balustres, frontons cintrés, consoles à volutes… la référence classique est omniprésente.

©Magali Giradin

L’architecte du bâtiment, Harvey Wiley Corbett (1873-1954), était un Californien qui réalisait justement à l’époque ses études à l’École des beaux-arts de Paris. Il avait 26 ans lorsqu’il fut appelé à Genève par les ingénieurs américains de la Compagnie. «Il n’avait pas encore fini ses études, mais il avait un diplôme d’ingénieur, donc une certaine connaissance du rail, qui était recherchée», explique l’architecte Jean-Marc Comte, du bureau d’architectes ayant réalisé les travaux de restauration du bâtiment.

« On a retrouvé d’anciennes photos pour pouvoir dénicher des aiguilles similaires. » Jean-Marc Conte

Le Bâtiment de l’horloge en 2024 ©M. Giradin
En 1938

Le jeune Californien a par la suite eu une carrière fulgurante outre-Atlantique, peuplée notamment de commandes de gratte-ciels et de projets futuristes. « Il s’est également beaucoup penché sur la politique des transports et le cumul des différentes manières de se mouvoir, quelque chose que l’on retrouve beaucoup aujourd’hui », relate Jean-Marc Comte.

« La restauration a aussi permis de retrouver des éléments d’origine intéressants à revaloriser. »

Une image industrielle à préserver

Le bâtiment tient son nom de la double horloge se situant sur le pavillon d’angle, «signe éloquent du statut public donné à l’établissement, ainsi que des promesses que la compagnie entend tenir en matière d’horaire », peut-on lire dans l’ouvrage XIXe, un siècle d’architecture à Genève (1814-1914), Promenades, édité par Patrimoine Suisse Genève.

Les deux horloges sont toujours là, et bien que son fonctionnement ait été électrifié, leur mécanisme est d’origine : il n’y a désormais plus besoin d’utiliser la manivelle pour remonter le contrepoids. Les aiguilles ont en revanche été changées, afin de mieux correspondre au style de l’époque : « on a retrouvé d’anciennes photos pour pouvoir dénicher des aiguilles similaires», souligne Jean-Marc Comte.

La Jonction, au cœur de la Ville de Genève, a gardé une image industrielle. C’est au milieu du XIXe siècle que le quartier, jusque-là dédié principalement à la culture maraîchère, se tourne vers l’activité industrielle. Juste à côté du Bâtiment de l’horloge, à la pointe de la Jonction, se trouvait l’usine Kugler, facilement repérable, grâce à sa cheminée en briques rouges et à son plan en équerre (jusqu’en 1930, elle fut l’usine Gardy frères, spécialisée dans la fabrication d’appareillages électriques). Elle a finalement été rachetée par l’État et accueille aujourd’hui diverses associations à but culturel… mais la cheminée, elle, est toujours là.

Les travaux de rénovation

Lors des travaux de rénovation du Bâtiment de l’horloge, débutés en 2021 et achevés durant l’été 2023, la volonté de garder l’enveloppe originelle du bâtiment était omniprésente. Ce dernier est d’ailleurs recensé par l’Office du patrimoine et des sites de l’État de Genève dans la catégorie patrimoine industriel et inscrit à l’inventaire.

©Magali Giradin

La cure de jouvence avait notamment pour but l’amélioration de l’efficacité énergétique, la mise en conformité des installations et la réalisation d’espaces de travail répondant aux besoins actuels. Les vitrages ont ainsi été améliorés, l’isolation a été renforcée au niveau des combles, de grands radiateurs ont remplacé les petits, permettant un chauffage à plus basse température, avec pour objectif un futur raccordement au chauffage à distance. L’annexe du bâtiment principal – laquelle n’est pas protégée – a été doublée en briques au niveau des murs. Un clin d’œil industriel supplémentaire. Une extension a aussi vu le jour sur le côté du bâtiment: elle contient un ascenseur permettant de desservir tous les étages, du sous-sol au deuxième.

Tout cela en respectant les avis des spécialistes des monuments et des sites ainsi que des normes contraignantes liées à ce type de bâtiment recensé. Mais la restauration a aussi permis de retrouver des éléments d’origine intéressants à revaloriser, tels que les parquets, les menuiseries au niveau des fenêtres ou encore les sols en terrazzo au niveau du hall d’entrée et des couloirs.

Aujourd’hui, et comme auparavant, en plus des activités administratives, une partie des conducteurs de bus des TPG se croisent à la Jonction pour prendre leur service. Mais la différence, c’est qu’au dépôt de la pointe se trouve désormais la partie électrique de la flotte routière des TPG (qui compte au total 458 véhicules): les 104 trolleybus électriques et les 12 autobus 100% électriques TOSA. L’avenir se trouve dans un écrin historique: c’est dire que la mobilité n’a pas fini d’écrire son histoire à la Jonction.

Damien Roth
Responsable Ingénierie et Bâtiments aux TPG

Damien Roth se dit chanceux d’avoir pu participer à la rénovation du Bâtiment de l’horloge depuis les prémisses du projet. Ce dernier comportait cinq objectifs principaux: l’amélioration de l’efficience énergétique, l’amélioration de l’accessibilité du bâtiment aux personnes à mobilité réduite, la réadaptation des espaces pour disposer de surfaces de bureaux adaptées aux besoins des employés, l’amélioration de la sécurité incendie, et la remise en valeur de ce «magnifique bâtiment classé».

Damien Roth – ©Magali Giradin

« Aujourd’hui, il y a une vraie satisfaction de tous les collaborateurs et de toutes les collaboratrices qui travaillent sur le site. » Damien Roth

Tous les objectifs ont été atteints, affirme-t-il, et les travaux ont même comporté quelques surprises: «Des éléments ont été redécouverts et ont pu être revalorisés», explique le responsable de la modernisation du bâtiment, faisant notamment référence aux parquets ou aux menuiseries. Tout, bien sûr, ne date pas de 1900. Une fresque, par exemple, représentant le réseau des transports publics tel qu’il était en 1944 est bel et bien ancienne… mais pas d’origine.

Cette longue rénovation a par ailleurs été réalisée par étapes. «On a dû déplacer provisoirement les services qui occupaient le Bâtiment de l’horloge par exemple». Mais elle en valait la peine: «Aujourd’hui, il y a une vraie satisfaction de tous les collaborateurs et de toutes les collaboratrices qui travaillent sur le site», se réjouit Damien Roth.

Jean-Marc Comte
Architecte au sein du bureau Comte, Berthelot et Neto SA

Le bureau d’architectes Comte, Berthelot et Neto SA a une certaine expérience des bâtiments ayant un intérêt patrimonial ou se situant dans des zones protégées. «Souvent, nous avons aussi le plaisir de pouvoir conjuguer le contemporain et l’ancien : c’est le meilleur des défis pour des architectes !» Jean-Marc Comte explique que son bureau a été mandaté dans le cadre d’un marché public pour la rénovation du Bâtiment de l’horloge.

Jean-Marc Comte – ©Magali Giradin

« Souvent, nous avons aussi le plaisir de pouvoir conjuguer le contemporain et l’ancien : c’est le meilleur des défis pour des architectes. » Jean-Marc Comte

Le confort des utilisateurs est le premier élément qu’il évoque quelques mois après la fin des travaux : « Il est réjouissant de constater que celles et ceux qui sont revenus dans le bâtiment ne sont pas déçus, bien au contraire. Et pas seulement parce que la qualité des espaces de travail s’est améliorée, mais aussi parce que leur manière de travailler a été quelque peu chamboulée. Ce n’était donc pas gagné d’avance. » Les architectes ont ainsi souhaité remettre au goût du jour le volume des grandes pièces que l’on retrouvait dans le bâtiment d’origine: de la générosité, alors que les utilisateurs avaient «pris l’habitude de travailler dans des espaces plus individuels».

La rénovation à proprement parler fut, quant à elle, le théâtre de plusieurs défis, tous résolus avec brio. «Pour les vitrages par exemple, nous avons utilisé des systèmes pour adapter les fenêtres existantes avec des vitrages isolants et en ajoutant du bois en surcadre. Nous avons donc pu utiliser du verre plus épais et ainsi l’adapter à la menuiserie.»

Les normes techniques à respecter étaient nombreuses : au-delà de l’électricité, du chauffage ou de la ventilation, toute la partie liée à l’acoustique devait également être prise en compte. «Il y avait beaucoup de pièces avec de faux plafonds beaucoup plus bas, qui cachaient toute la structure d’origine du bâtiment. » Et celle-ci est intéressante, puisque bien plus généreuse avec son arrondi offert par de double-jeux de sommier. «En enlevant les faux plafonds, il fallait assumer les questions d’absorption acoustique. Nous avons ainsi pu mettre en place des panneaux d’absorption assez efficaces, avec des luminaires à LED au milieu.»

Pour l’existant, c’est un travail de restitution qui a été réalisé. «Comme pour le terrazzo, ce matériau que l’on réalisait directement sur place et que l’on agrémentait très régulièrement de mosaïques pour constituer des frises.» À certains endroits, il avait presque complètement disparu. «Alors nous avons fait refaire des carreaux de terrazzo un peu plus clairs, puisque c’est un matériau que l’on utilise encore aujourd’hui.»

Les parquets étaient quant à eux recouverts de moquette ou de faux planchers… «l’entreprise mandatée a vraiment passé du temps sur ces planchers », se souvient Jean-Marc Comte. «Mais cela a permis d’installer des boîtiers qui permettent d’amener l’électricité et l’informatique directement au centre des pièces ou sous les bureaux des collaboratrices et collaborateurs.»

L’architecte se remémore par ailleurs une anecdote. Lors du premier sondage, effectué dans le hall d’entrée, l’on découvre la signature de l’entreprise de parquets de l’époque. « C’était un gros coup de chance, car on ne retrouve que peu souvent ce genre d’inscriptions. Alors nous l’avons gardée et elle sera exposée dans le bâtiment. »

Sébastien Weibel
Responsable du Pôle Opérations aux TPG

Le Pôle Opérations des TPG comporte une multitude de services, de la régulation du trafic («tour de contrôle» qui est en communication permanente avec les conducteurs et les conductrices circulant sur le réseau), en passant par la gestion des travaux, des accidents ou encore des manifestations. C’est le service Évènements qui est présent au 1er étage du Bâtiment de l’horloge. « Et avec l’annexe administrative réhabilitée, qui était louée au journal Le Courrier auparavant, le service Réseaux va pouvoir s’y implémenter», explique Sébastien Weibel, le responsable du Pôle Opérations. «La volonté est aussi de marquer la présence des TPG à la Jonction. Avec la flotte de véhicules électriques, c’est le dépôt de l’avenir qui se trouve sur ce lieu.»

Sébastien Weibel – ©Magali Giradin

« Je trouve qu’il y règne un esprit, une atmosphère particulière. » Sébastien Weibel

L’avantage de la Jonction réside avant tout dans son emplacement. «Lorsqu’un conducteur sort un véhicule, il est tout de suite sur le réseau, à seulement quelques mètres de Bel-Air, apte à prendre des voyageurs. On limite ainsi les parcours à vide improductifs.» Le fait que les véhicules stationnés au dépôt soient électriques a par ailleurs permis de diminuer les nuisances sonores pour le voisinage et les riverains.

Sébastien Weibel relate qu’à l’époque, il s’agissait du dépôt qui voyait passer le plus de conducteurs et conductrices. «Les lieux étaient presque un peu étriqués, c’était une fourmilière. On est désormais sur un espace à taille plus humaine.» Que pense-t-il du relooking du Bâtiment de l’horloge? «On a gardé les murs porteurs, mais on a décloisonné les espaces. On retrouve des éléments du passé et le travail de rénovation est particulièrement soigné, avec ces volets roulants en bois, ces ouvrants d’époque reconstitués.»

Le grand-père de Sébastien Weibel travaillait aux TPG en tant que conducteur. En plus de son intérêt pour l’histoire de la compagnie, le petit-fils dit avoir « un lien particulier avec ce lieu.» «Je trouve qu’il y règne un esprit, une atmosphère particulière.» C’est le charme de l’époque, agrémenté de toutes les technologies actuelles. «L’idée n’était pas de figer le bâtiment, bien au contraire.»

Dans ce quartier de la Jonction, un peu entre deux mondes, les Transports publics genevois ont gardé l’image d’une entreprise industrielle, fière de ses métiers plus mécaniques et techniques. «Les traces du passé manquent parfois à Genève. Ici, au bout de la Jonction, on a encore les rails, témoins des trams qui passaient.»

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