A la découverte du château de Compesières

14 avril 2020
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Le manoir qui abrite la mairie de Bardonnex a été inscrit en 1986 à l’inventaire des immeubles dignes d’être protégés du canton de Genève. Le domaine de la Commanderie sur lequel il est implanté fait partie de l’inventaire suisse des biens culturels d’importance nationale depuis 2009. Ce château a été bâti sur les bases d’une ancienne maison forte.

C’est en 1816, lors du second traité de Turin, que le roi de Sardaigne Victor-Emmanuel 1er accepta de céder à Genève le territoire de 23 communes de la rive gauche du Rhône et du lac Léman à Genève, dont celles de Bardonnex et Compesières.

Le château, une église, la cure, un corps de ferme et des dépendances localisés antérieurement sur la commune de Compesières se retrouvèrent alors englobés dans celle de Bardonnex lors de la fusion des communes de 1851. Cette ancienne commanderie de l’Ordre de Malte a été construite à partir de 1450, une datation prouvée par les relevés de dendrochronologie effectués sur sa charpente originale.

Des racines romaines et moyenâgeuses avérées

Plusieurs campagnes de rénovation ont fait subir des transformations majeures au château de Compesières, que l’on reconnaît aisément aujourd’hui en raison de ses trois tours rondes et une carrée, toutes étant chapeautées par une toiture recouverte de tuiles en terre cuite. Cela n’est pas étonnant, car la région est riche en terrains humides qui sont propices à la fabrication de tuiles et de briques. C’est pour cette raison que Compesières tire ses racines de l’ancien français, compos, compost, compois ou compoix, mais aussi engrais, fumier, ce qui caractérise parfaitement les particularités du sol dans cet endroit.

Lors de campagnes de fouilles réalisées entre 2005 et 2006, les géologues ont découvert des fragments d’objets en céramique antique remontant entre le Ier et le IIIe siècle de notre ère, preuve que ces lieux étaient habités déjà à cette période reculée. Les fouilles ont aussi mis à jour les fondations de grands bâtiments remontant au Ve siècle, de même que, probablement, une église à partir du VIIe siècle, qui fut l’objet de travaux d’agrandissement jusqu’au Xe siècle.

Une cascade de rénovations pour retrouver le faste d’antan

La commanderie tomba entre les mains de l’Ordre de Malte jusqu’à la chute de l’Ancien Régime en 1793. Peu après, elle fut transformée en fabrique de salpêtre, lors du rattachement de Genève à la France, puis vendue aux enchères en 1796, et devint propriété de la République helvétique sous les règnes des Royaumes de France et de Sardaigne en 1816.

Le bâtiment de la commanderie subit une importante restauration en 1735, puis une seconde, en 1954 et 1955, qui toucha son aspect extérieur, et fut placée sous la direction des architectes Edmond Fatio et André Rivoire, avec l’aide de la Confédération et de l’État de Genève, du Heimatschutz et de l’Art public.

Une visite du second étage dévoile une magnifique salle des Chevaliers et le musée de l’Ordre des templiers, caractérisé par un impressionnant plafond peint.

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Un plongeon dans la modernité

À la fin 2018, les locaux de l’ancienne cure abritée dans la commanderie ont été libérés à la suite d’un subtil échange de biens immobiliers entrecroisés du domaine de Compesières entre l’Eglise catholique, la commune et celle de Plan-les-Ouates. Ils ont laissé la place à ceux de la mairie, rénovés dans un style très contemporain. L’accord final entre les différents propriétaires des lieux fut finalement paraphé à la fin 2019.

© Magali Girardin

L’entrée du château dans la modernité est perceptible au premier coup d’œil quand on pénètre dans les locaux de la mairie. Un ascenseur très design a en outre été installé pour faciliter l’accès de la mairie aux personnes à mobilité réduite et le niveau du plancher a été unifié entre les différentes pièces.

De même, un faux parquet masque le passage des câbles électriques dans la salle d’accueil de la mairie et des potelets métalliques faisant aussi office de luminaires sont équipés de prises électriques pour alimenter les équipements techniques des bureaux.

FRÉDÉRIQUE BARBE, LA SECRÉTAIRE GÉNÉRALE ADJOINTE DE BARDONNEX

Frédérique Barbe © Magali Girardin

 

Installée avec ses collègues dans les nouveaux locaux de la mairie depuis le début de cette année, Frédérique Barbe a commencé au service de la mairie en 1990 pour seconder le secrétaire général. Elle a ensuite suivi une formation en gestion du registre d’état civil de la commune. Ce poste a été converti en emploi à plein temps, avant qu’elle reprenne celui de secrétaire générale adjointe. Aujourd’hui, huit employés travaillent dans les locaux totalement rénovés de la mairie, dans un espace moderne et répondant aux exigences actuelles du travail administratif d’une mairie.

« Quand je suis arrivée à la mairie, la commune comptait 1250 habitants, aujourd’hui, ils sont 2200 », indique-t-elle.

Mais le lieu a gardé un esprit rural. De petits immeubles ont bien été construits à la Croix-de-Rozon, ce qui a attiré de jeunes couples et une ribambelle d’enfants. La nouvelle zone industrielle a également eu un effet attrayant pour les gens qui y travaillent.

Il n’en reste pas moins qu’avec une très longue frontière commune avec la France, la commune de Bardonnex est un peu isolée du reste du canton. « Certaines communications sont difficiles pour aller d’un village à l’autre au sein de la commune, il nous manque une ligne de bus entre la Croix-de-Rozon et la mairie », regrette Frédérique Barbe. D’autant plus que le nombre de petits commerces tend à diminuer dans un territoire très étendu.

« Nous n’avons pas de marché à la ferme, mais seulement une Union maraîchère à Plan-les-Ouates et les cueillettes de Landecy dans le village éponyme. Par contre, les activités culturelles et sportives prolifèrent : danse, théâtre, tennis de table, football, judo » relève-t-elle.

ALAIN BESSE, LE DÉCOUVREUR DES TRÉSORS DU CHÂTEAU

Alain Besse © Magali Girardin

Les travaux de rénovation des anciennes pièces du château, ont mis au jour non seulement de magnifiques fresques murales, mais aussi des inscriptions et graffitis masqués par des parois installées dans un stade ultérieur de la construction du bâtiment, ou par des substrats plus modernes. Leur mise en valeur est une spécialité d’Alain Besse, directeur associé de la société Sinopie, dont le but est de veiller à la conservation d’œuvres d’arts et de biens patrimoniaux de toute taille.

Dans le château de Compesières, de magnifiques plafonds à double poutraison peints sont réapparus lorsque la structure de leurs substrats d’origine a été passée à la loupe. Les sondages réalisés sur les murs en plafonds, qui commencèrent en 2015, nécessitèrent quatre ans de travaux.

« Depuis la Renaissance, les graffitis se sont multipliés un peu partout. Ils ont un rôle de témoin d’une époque, d’une région et d’un mode de vie, même si l’on n’arrive pas toujours à les interpréter. Ils s’avèrent aussi les témoins des événements locaux », indique Alain Besse.

Leur étude permettra peut-être un jour d’en savoir plus à la lumière d’autres éléments. Les traces écrites cohabitent ou se superposent souvent avec les dessins. « Dans de tels cas, nous essayons de conserver les deux types de traces, mais on les sépare plutôt que de prétériter l’une au profit de l’autre ».

ALAIN WALDER, LE MAIRE DE BARDONNEX*

Alain Walder © Magali Girardin

Après avoir passé sa jeunesse à Hermance et emménagé un peu par hasard à Bardonnex en 1985, Alain Walder a été élu au conseil municipal de cette commune en 1995. Quatre ans plus tard, il a repris le poste de maire et eu la lourde charge de suivre et de finaliser les dossiers qui faisaient l’objet de discussions récurrentes depuis une vingtaine d’années.

« C’est un peu par hasard qu’en étudiant les dossiers, on a remarqué que le château était en subdivision. La commune de Plan-les-Ouates a cédé sa part à Bardonnex », nous explique Alain Walder.

Entre 2015 et 2020, ce sont les dossiers relatifs à l’échange avec la Paroisse de Compesières, de la rénovation des Communs, de la ferme de Compesières, du site historique et de la construction d’une école et d’une halle artisanale qui ont accaparé les débats au sein du conseil municipal qu’il a dirigé. Et cela parallèlement à son emploi de secrétaire général du Conseil administratif de la commune d’Onex. Il reconnaît que, dans cette fonction, il peut s’appuyer sur le travail de ses collaborateurs pour régler les détails des dossiers.

À Bardonnex, par contre, il doit suivre les dossiers jusque dans les plus petits détails. Avec la signature d’un accord sur la question épineuse du partage et de l’échange des biens entre l’église et la commune dans le cadre du domaine de Compesières, Alain Walder admet avoir achevé un ouvrage qui lui tenait particulièrement à coeur. « À maintes occasions, les négociations n’ont pas été simples, mais on est désormais chacun chez soi », se réjouit-il. « Je suis très satisfait de mon action sur ce dossier ». Il ajoute pourtant qu’il est resté plus longtemps que prévu à la tête de la commune de Bardonnex.

Bien qu’aucune règle ne soit clairement définie au sein de son parti, les élus ne se représentent plus après trois législatures. « C’est pourtant plus agréable de partir en ayant la satisfaction du devoir accompli », souligne Alain Walder. « On aime bien savoir que les dossiers en cours sont bien maîtrisés par son successeur ».

* Maire jusqu’au 31 mai 2020

MICHÈLE ZANETTA, LA CONSERVATRICE DU MUSÉE DE L’ORDRE DE MALTE

© Magali Girardin

Créé en 1973, le Musée de l’Ordre de Malte accueille entre 160 et 480 visiteurs par année. Il a vocation à conserver et faire connaître l’histoire de l’Ordre de Malte ainsi que l’objectif de son engagement dans le monde. On y trouve des tableaux, des objets divers, des documents, des uniformes, une collection numismatique ainsi que panneaux didactiques sur les activités de l’ordre dans le monde. « Nos collections regroupent actuellement 1285 objets et la bibliothèque compte 915 livres », explique Michèle Zanetta, conservatrice du musée.

Les visites organisées en principe tous les cinq ans dans le cadre du grand prieuré permettent aux membres disséminés dans la région du Genevois de suivre l’évolution des travaux et les revenus du chef-lieu.

« Les récentes restaurations ont permis de retrouver l’agencement et la fonction originelle de la commanderie, de lui redonner une partie de sa fonction d’origine, de découvrir de nombreux détails qui enrichissent l’histoire de la région », souligne encore la conservatrice des lieux.

La chambre du commandeur, que le musée a pu récupérer à la suite de l’installation de la mairie au rez-de-chaussée, sera équipée de matériel électronique et consacrée aux œuvres actuelles de l’ordre de Malte ainsi qu’à une meilleure connaissance du site de la commanderie grâce aux travaux effectués lors des fouilles récentes.

© Magali Girardin

« La Commanderie représente l’un des derniers exemples en Suisse romande de l’implantation de l’ordre de Malte à travers l’Europe afin d’y fournir aux pèlerins ou aux autres voyageurs un lieu d’accueil, de repos et de récupération avant de reprendre la route, souvent semée d’embûches », poursuit-elle, soulignant la volonté de ne pas laisser disparaître cette histoire qui dure depuis plus de 900 ans et animée par le désir de mettre ses pieds dans ceux qui l’ont précédée avec la même idée : aider ceux qui souffrent, en particulier les pauvres et les malades.

MÉLANIE CROTTAZ LA LOCATAIRE DU CHÂTEAU DE COMPESIÈRES

© Magali Girardin

C’est à l’âge de 12 ans que Mélanie Crottaz est arrivée avec ses parents dans la commune de Bardonnex. Elle est très attachée à son village d’adoption et apprécie d’avoir emménagé dans un appartement du bâtiment de la commanderie en mai 2017. Elle y loge avec ses deux filles (âgées de 7 ans et de 1 an et demi) et son compagnon. « J’y suis venue pour être plus près de ma famille, mais aussi pour profiter des avantages de la campagne tout en ayant des commerces pas trop loin de chez moi ».

Avec des enfants, c’est agréable de pouvoir sortir sans subir les inconvénients de la circulation et de se retrouver dans de vastes espaces de verdure.

Mélanie Crottaz reconnaît ne pas avoir eu trop de désagrément pendant les travaux de rénovation qui viennent de s’achever dans le château. « Les travaux ne nous ont pas trop dérangés, sauf quand il y a eu des coupures de courant ou d’alimentation en eau, mais on savait que l’on devait faire des provisions de bougies ou de lampes LED ».

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Édito

Mixité et qualité !

Tout le monde connait le syndrome du « not in my back yard », soit que l’on veut bien construire ou accueillir des nouveaux habitants, mais pas à côté de chez soi. Ceci a encore pu être constaté durant la campagne des élections municipales, où la plupart des élus communaux – sauf ceux qui prônent la décroissance – veulent bien assumer l’arrivée des nouveaux logements (planifiés par le Canton), mais ceux-ci doivent alors être de qualité, en privilégiant la mixité.
Anne Hiltpold
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