Le Collège Calvin, entre renouveau et splendeur d’antan

18 octobre 2022
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Bien qu’il soit le plus ancien des collèges de Genève, les années n’ont en rien ébranlé le Collège Calvin. Au fil des siècles et des rénovations, celui-ci a su conserver son charme historique tout en s’adaptant à son époque. Il n’a toutefois jamais cessé d’incarner les valeurs de l’éducation chères à la cité de Calvin.

©Magali Girardin

« Le Collège est d’ailleurs l’un des rares édifices médiévaux de la cité, en plus d’être l’un des plus anciens bâtiments de Genève. »

Les travaux de construction de celui qui s’est d’abord appelé le Collège de Genève remontent au milieu du XVIe siècle. Deux bâtiments voient le jour en 1558 et 1561, au cœur de la vieille ville. Dans un couloir propice à la bise, sur la remontée des rues basses, il s’érige en passage obligé et prestigieux.

C’est la Réforme qui est à l’origine de l’institution, née d’une volonté de diffuser un savoir humaniste et d’amener l’éducation sous la forme de l’école obligatoire et gratuite. Ainsi, l’école de maturité est officiellement fondée en 1559. Elle ne changera jamais d’affectation.

Le Collège connaît rapidement un joli succès : il accueille 2000 élèves dès 1566, soit deux ans après la mort de Jean Calvin. Genève ne compte alors que 15 000 habitants. Avec l’introduction de la mixité en 1969, le Collège de Genève prend le nom de Collège Calvin et l’ancienne École supérieure de jeunes filles devient le Collège Voltaire.

Un style Renaissance doublé d’une tradition médiévale

Les premiers bâtiments construits sont de véritables trésors patrimoniaux. Le porche du bâtiment central présente toutes les caractéristiques du style Renaissance. Une tradition médiévale persiste pourtant dans ses ogives. Aujourd’hui encore, les clés de voûte portent des inscriptions en grec, en allemand, en hébreu et en français. Le Collège est d’ailleurs l’un des rares édifices médiévaux de la cité, en plus d’être l’un des plus anciens bâtiments de Genève.

©Magali Girardin

« Dès 2008, l’établissement connaît une grande restauration, conduite par l’architecte Yves Omarini. Celle-ci concerne les bâtiments historiques ainsi que la cour et aura coûté 22 millions de francs. La silhouette d’origine n’avait plus été touchée depuis 1888. »

L’aile sud, construite en 1560, abritera les premières classes, la bibliothèque – alors située dans les combles – de même que des logements. Elle est encore intacte aujourd’hui.

Particulièrement impressionnant, le bas-relief du bâtiment est tout en marbre et viendrait, semble-t-il, de France. La façade, quant à elle, combine la brique et la pierre, une fois de plus sur un modèle français issu de l’architecture pratiquée à l’époque sur les bords de la Loire.

Premières opérations d’agrandissement et de transformation

L’établissement connaîtra une succession d’agrandissements. Plusieurs bâtiments viennent compléter les premiers, dont un petit d’un seul niveau, construit en 1837 et qui donne une forme de « U » à l’ensemble. L’aile sud sera rallongée, tandis qu’une terrasse pourra être construite et que des salles de cours supplémentaires seront ajoutées au cours du XIXe siècle, au gré des arrivées des élèves. Une annexe s’avérera même nécessaire ; elle sera construite en 1957.

Une première transformation a lieu entre 1886 et 1888. Elle concerne le bâtiment central. C’est l’architecte de la ville, Louis Viollier, qui en est chargé et qui a donné à l’établissement son aspect et sa matérialité d’aujourd’hui. Les années passant, le Collège Calvin finit par se trouver à l’étroit. Plusieurs projets sont proposés, mais finalement abandonnés.

Entre 1984 et 1987, l’État de Genève fait construire à l’angle de la rue Ferdinand-Hodler et le boulevard Émile-Jaques-Dalcroze un immense bâtiment qui permet d’accueillir des salles de classe, des ateliers, des laboratoires, des salles de sport ou encore le centre informatique cantonal de l’enseignement secondaire. Une aula est également construite trois ans plus tard ; nommée « salle Frank Martin », elle fait aussi office de salle de spectacle.

L’historien de l’art Pierre Monnoyeur, décédé en février 2022, a mené une étude sur le Collège Calvin pour la ville de Genève en 2001. Il en a tellement disséqué les moindres détails qu’il est encore appelé « Monsieur Calvin ».

©Magali Girardin

Le dernier grand chantier de rénovation

Dès 2008, l’établissement connaît une grande restauration, conduite par l’architecte Yves Omarini. Celle-ci concerne les bâtiments historiques ainsi que la cour et coûte 22 millions de francs. La silhouette d’origine n’avait plus été touchée depuis 1888. Or, ses façades, sa toiture et la cour avaient été détériorées par le poids des ans. Des travaux d’une telle envergure avaient nécessité des études dès 1996. Il faut dire que la bâtisse a été classée en 1921, en même temps que la cathédrale et l’Hôtel de Ville.

Le défi était de taille pour les architectes : il a fallu restaurer le bâtiment en gardant son côté historique et sans entraver son utilisation. Façades colmatées, fenêtres restaurées, crépi refait, pierres et tuiles remplacées, … : les travaux ont duré jusqu’en 2015, avec, bien sûr, leur lot de surprises. Nathalie Mermod, architecte à la direction des rénovations de l’Office des bâtiments, rapportait à la Tribune de Genève, lors de l’inauguration de l’établissement restauré, qu’initialement, l’ensemble de la charpente, datant de 1559, devait être restaurée. « En la découvrant, nous avons constaté qu’elle était en très bon état ; seuls quelques morceaux ont dû être changés. »

Les travaux ont été récompensés par Patrimoine Suisse Genève en juin 2018, dans le cadre de l’Année européenne du patrimoine culturel. Preuve que le renouveau ne signifie pas l’oubli de l’ancien. Nicolas Levet, enseignant et doyen à Calvin, le rappelle d’ailleurs : « L’envie d’éducation et de culture est encore présente partout au Collège ».

Aujourd’hui, alors que les élèves se mélangent de plus en plus et que l’institution souhaite s’éloigner quelque peu de son image élitiste, la Réforme n’est pas qu’un simple souvenir, vision quasi calviniste de l’architecture à l’appui.

Nicolas Levet, enseignant et doyen en charge de la direction

Il en a passé, Nicolas Levet, des heures assis sur les bancs du Collège Calvin entre 1992 et 1996 ! Une fois sa maturité en poche, il ne pensait pas y revenir. Or, il y est désormais doyen et, depuis peu, doyen en charge de la direction. Il est passé par des études, des séjours à l’étranger et d’autres établissements avant de renouer avec l’institution, où il enseigne l’histoire et l’allemand depuis 2011. Un parcours original, signé d’une bonne empreinte genevoise : « Vu que je viens de la région, je vois aujourd’hui arriver des enfants de certains de mes amis. »

Très attaché au lieu, Nicolas Levet en découvre toujours des facettes, combles, couloirs d’archives et entrepôts compris. Des endroits méconnus du grand public, avec de grands espaces dont le potentiel n’est pas encore exploité, mais aussi un peu de magie : « Quand on étudie ici, on entend beaucoup de mythes sur des salles cachées. »

Parmi les endroits qu’il chérit particulièrement, il y a la fontaine et sa chouette, lieu de rencontre par excellence. La chouette, c’est d’ailleurs le nom que les élèves ont donné à leur journal. Lorsque les enseignants cherchent un peu de tranquillité, c’est du côté de la salle des maîtres qu’ils en trouvent, ou dans son jardin ombragé attenant. Notons dans un autre style l’atypique entrée des combles : « J’adore cet instant, quand on ouvre la porte ! », nous dit Nicolas Lever. Sans oublier la vue sur le Collège depuis la place devant le Palais de Justice, lever de soleil en prime. « Il arrive même qu’on aperçoive des professeurs qui prennent des photos lorsqu’ils arrivent le matin », poursuit-il.

©Magali Girardin

À propos de la rénovation, Nicolas Levet estime que les enseignants et occupants sont satisfaits de la modernité apportée au bâtiment, qui a tout de même conservé son côté historique. « On se retrouve à travailler sur une tablette dans une salle et à l’étage du dessous, il y a le parquet qui grince », nous explique-t-il. Il mentionne aussi les grands tableaux noirs restés à leur place dans plusieurs classes, « (…) mais, en même temps, il est possible de projeter son cours à l’aide d’un beamer ». Les visiteurs extérieurs sont du reste frappés par ce quotidien plein de contrastes.

Lorsqu’il revient sur les changements de ces deux dernières décennies, Nicolas Levet évoque la carte géographique des attributions d’élèves, qui a quelque peu chamboulé les affectations. « On a depuis quelques années des élèves qui viennent du Petit Lancy et d’Onex. Au début, c’était difficile pour eux. Mais, avec le temps, on a l’impression que l’intégration se fait de mieux en mieux », indique-t-il. Il voit cette mixité comme une richesse, mais qui entraîne son lot d’adaptations. « L’image élitiste du Collège Calvin, on se bat encore contre », commente-t-il.

Nicolas Levet ©Magali Girardin

« Quand on étudie ici, on entend beaucoup de mythes sur des salles cachées. »

L’enseignant évoque aussi Dolorès Meyer, première femme à la tête du Collège Calvin depuis 2009 : « Elle s’est énormément investie afin que tout le monde se sente à l’aise ici. » Sans oublier son prédécesseur, Jacques Fleury, qui était directeur lorsque Nicolas Levet étudiait à Calvin : « On le recroise encore parfois avec grand plaisir ici ».

Yves Omarini, architecte

Yves Omarini ©Magali Girardin

« Le projet m’a apporté énormément de sensibilité et de respect. Ce qui par la suite m’a aidé à mieux aborder des objets avec une telle substance historique et patrimoniale. »

Fondateur du bureau Omarini Micello Architectes, Yves Omarini a été responsable de la restauration du Collège Calvin entre 2008 et 2015. Un projet – premières études comprises – de plus de six ans qu’il estime très formateur. « Le projet m’a apporté énormément de sensibilité et de respect. Ce qui par la suite m’a aidé à mieux aborder des objets avec une telle substance historique et patrimoniale », indique-t-il. Le lien qu’il a développé avec le Collège Calvin est devenu privilégié grâce au temps passé sur place à observer, analyser, comprendre puis, finalement, restaurer.

Les souvenirs d’Yves Omarini à propos du Collège Calvin sont multiples. Les premiers datent de l’adolescence, cet âge de l’insouciance durant lequel il passe devant le bâtiment lors des fêtes de l’Escalade. Au fil des années, son regard s’est transformé. Il s’est alors rendu compte, par le biais de nombreux écrits, que le Collège était aussi un lieu emblématique de Genève et de son histoire. « On devrait se retourner plus souvent sur l’histoire pour mieux aborder le présent », nous dit-il.

Lorsque les études liées à la restauration du Collège Calvin ont pu débuter, le bâtiment avait déjà plus de 450 ans. « Lors des premières analyses, on s’est rendu compte que le bâtiment était en très mauvais état. C’était en partie dû à son âge et à sa structure, mais également lié aux interventions malheureuses ainsi qu’à son entretien », précise l’architecte. Le bâtiment a notamment été confronté à des problèmes de pourrissement et certaines pièces de charpente ont mal supporté le poids des années.

« À l’origine, il y avait deux bâtiments plus petits, des fortifications, une chapelle et des jardins », relate-t-il. Et d’ajouter que l’image que l’on a aujourd’hui du Collège Calvin est en fait une accumulation de quatre siècles de travaux successifs. Il a fallu identifier ces différentes étapes afin de savoir lesquelles conserver et révéler, mais aussi lesquelles supprimer pour redonner vie au bâtiment et le doter d’une identité cohérente.

Le plus difficile a été de faire les bons choix. L’architecte donne l’exemple de la toiture, composée de plus de 65 000 tuiles. De nombreuses questions ont été soulevées lors de sa restauration : nouvelle couverture, panachage, tuiles d’origine, couleurs et formes d’origine, matériaux utilisés ? comment étaient-ils fabriqués à l’époque ? Toutes ces strates de réflexion ont finalement accompagné la restauration de chaque sujet, des fenêtres aux façades, en passant par les intérieurs et l’extérieur.

La première approche a donc été de respecter l’existant et son histoire. Mais qui dit nouveau programme, dit aussi des interventions plus contemporaines. Sept ans après l’accomplissement de ce travail de titan, Yves Omarini est formel : « Il suffit de se balader sur place pour voir que le résultat est très positif ». Il tire une réelle satisfaction d’avoir pu participer à la sauvegarde de ce bâtiment classé, qui n’a jamais changé d’affectation. La récompense de Patrimoine Suisse en 2018 a ainsi été vécue comme une réussite collective : « Un travail d’équipe de longue haleine ».

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