A la découverte d’un bâtiment genevois : le Temple de la Fusterie

24 avril 2019
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La vocation du Temple de la Fusterie a bien changé depuis le début de XIXe siècle. A l’époque de sa construction, il fallait répondre à l’engouement des citoyens de Genève pour leur foi. L’évolution des habitudes de la population a depuis vidé les églises de leurs paroissiens. L’exode des habitants du centre-ville vers la périphérie de la cité, au profit des commerces, a modifié la mission du temple qui, inscrit au patrimoine national des bâtiments historiques, est à la veille de subir une rénovation d’envergure, estimée à 12,5 millions de francs.

Un souvenir vivant de l’intransigeance française

L’église éponyme – on parle plutôt de temple dans le langage protestant – a été érigée au centre de la place de la Fusterie, sur l’emplacement d’un port marchand. Sa construction avait été nécessitée par la ferveur des habitants de la Cité de Calvin et surtout stimulée par l’exode des protestants français en direction du Nord de l’Europe et de Genève en particulier, à la suite de la révocation de l’Edit de Nantes par Louis XIV, en octobre 1685. Ces migrants fuyaient les exactions des sbires du roi de France qui cherchaient à rallier l’ensemble de la population à la foi catholique. C’est aussi à cette époque que pas moins de 3000 temples furent rasés sur le territoire français pour freiner l’essor de la foi protestante.

©Magali Girardin

Ces nombreux émigrés avaient besoin d’un lieu de recueillement pour vivre pleinement leur foi dans le havre de paix et de liberté qu’ils rencontrèrent à Genève. C’est pour cette raison que certains émirent l’idée d’ériger une nouvelle église dans la Cité de Calvin. En 1708, le Conseil des Deux Cents décida de bâtir un nouveau lieu de culte pour réaliser ce vœu.

Une architecture typique de la ferveur protestante

Le temple de la Fusterie fut le premier lieu de culte protestant érigé dans l’enceinte de la ville de Genève. Sa construction fut financée grâce à un legs du banquier genevois Jean-Antoine Lullin, par la Seigneurie et par la vente ou la location des places sur les bancs de l’église. C’est l’architecte français Jean Venne, originaire de la ville de Sommières, dans le Gard, qui établit les plans. Il construisit l’édifice entre 1713 et 1715, sur la base des plans d’un temple qui avait été érigé à Charenton en 1607, puis rasé en 1685 à l’issue de la révocation de l’Edit de Nantes. Tout comme bon nombre des ouvriers qui bâtirent le temple de la Fusterie, Jean Venne était un réfugié huguenot.

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Typique de la pensée calviniste et de l’architecture genevoise de l’époque, le Temple neuf, ainsi dénommé au moment de sa construction, présente une façade de style baroque.

Erigé sur un soubassement en roche formant un rectangle de 30 mètres par 18 et des façades en molasse, le temple est coiffé d’un dôme rectangulaire monumental. Les façades sont percées de six portes en bois, dont trois donnent sur la face méridionale qui est surmontée d’une imposante horloge et d’un modeste clocheton en bois recouvert d’un bardage métallique.

La galerie qui fait tout le tour de l’église est supportée par seize colonnes montées sur des socles en roche. Une deuxième série de seize colonnes, situées au niveau de la galerie dans le prolongement des premières, soutient la toiture du bâtiment.

Construite de sorte que le prêche du pasteur soit entendu par tous les paroissiens, la chaire était très avancée et au centre de l’espace consacré au culte. L’installation du premier orgue se fit en 1763. Celui-ci fut remplacé en 1834 par un nouvel orgue construit par un certain Silvestre Walpen, puis, en 1977, par un troisième orgue, dû à Pascal Quoirin.

Un port comme embase aux fondations

Le temple a été construit sur un emplacement qui, jusqu’au XVIIIe siècle, servit de port aux marchands et ouvriers du bois de la ville, les fustiers. Ses fondations reposent sur un maillage fait de poutres en bois, qui, au moment de l’édification, se trouvaient immergées. Les sondages en puits effectués récemment ont révélé que ce maillage s’est intégralement décomposé. Des études ont démontré que la nappe superficielle s’était abaissée à un point tel qu’au contact de l’air, le dispositif de poutres s’était littéralement volatilisé. « Ses fondations ne reposent dès lors plus que sur 50 % de sa surface », note Christian Foehr, architecte mandaté pour sa rénovation d’envergure par la Fondation pour la conservation des temples genevois construits avant 1907. Les mesures effectuées dès les années 60 et 80, ainsi que récemment, ont permis de constater que les fondations du temple s’enfoncent inéluctablement d’environ 1,5 millimètre par année probablement depuis une époque proche de sa réalisation en 1714.

En observant l’aspect extérieur du bâtiment, on peut apercevoir les outrages du temps qui ont aussi laissé des marques tangibles sur les façades. Par endroits, les pierres de molasse d’origine ont subi les attaques des intempéries, ce qui nécessite de retailler et de remplacer quelques-unes d’entre elles, mais surtout de refaire leur jointoiement.

Plusieurs phases de rénovation

Les archives montrent que le bâtiment a connu plusieurs phases de travaux depuis sa construction. Les principales ont été réalisées en 1828 et 1829 (réparation et remise à neuf du clocher), entre 1856 et 1860 (restauration du temple), en 1910 (rénovation et transformation du temple, construction d’une sacristie, d’une loge de concierge et d’une salle de paroisse) et en 1975 pour les dernières (rénovation de Francis Schenk).

Après avoir déjà fait par le passé l’objet de rénovations plus ou moins lourdes, le temple va subir une rénovation basée sur une véritable vision de la qualité de ce témoin de la période de l’immigration des protestants français en Suisse. Elle a été élaborée, non seulement pour préserver son intégrité, mais aussi pour lui conférer une vocation moderne, en faveur de la communauté genevoise.

Une rénovation de fond en comble

Christian Foehr, architecte © Magali Girardin

L’architecte Christian Foehr, qui avait déjà été mandaté pour la restauration du temple de Chêne-Bougeries, a relevé ce défi fin 2011. Il ne mesura pas d’emblée l’ampleur de la tâche ni les obstacles qui l’attendaient. Son premier constat fut que l’édifice était construit sur un terrain très meuble constitué de plusieurs strates de limons lacustres non consolidés, ainsi que d’une nappe superficielle affleurant à 2 mètres sous la surface de la place, avec une amplitude de variation de 40 centimètres suivant le régime pluvial qui marque la région. Sans compter qu’en raison de la structure qui soutenait le bâtiment, celui-ci présentait une différence de niveau de 24 centimètres entre ses deux angles extrêmes du soubassement, le plus bas se trouvant du côté du lac : un signe évident de son manque de stabilité. Les premiers travaux de rénovation devraient pouvoir commencer d’ici la fin de cette année ou au début de 2020.

Un témoin architectural d’importance nationale à sauvegarder

Dans son projet de restauration du temple, Christian Foehr est arrivé très vite à la conclusion que seul un renforcement des fondations était en mesure d’assurer à long terme la survie de l’édifice. Pour le confort des usagers du temple, il était aussi nécessaire de se pencher sur le bilan énergétique du bâtiment pour l’améliorer et garantir une exploitation financièrement acceptable.

Les larges fenêtres donnant sur le rez-de-chaussée seront restaurées afin de réduire les déperditions de chaleur. Celles situées au niveau de la galerie seront doublées par un second rang de fenêtres. Le dôme du couvrement de la nef sera doté d’une couche d’isolation en laine de lin de 20 centimètres d’épaisseur. « Traditionnellement, le lin a toujours été utilisé, car il a un effet répulsif pour les acariens et la vermine. Il est aussi très perméable à la vapeur ». Enfin, la charpente fera, elle aussi, l’objet d’une restauration dans les règles de l’art.

Attaqués par la rouille, les tuyaux de l’ancien système de chauffage au sol avaient nécessité d’installer provisoirement des radiateurs pas très esthétiques. Ceux-ci seront remplacés par une nouvelle natte de serpentins en basse température inoxydables englobée dans le sol et raccordée à une nouvelle chaudière au gaz à condensation plus soucieuse de l’environnement. De plus, un système de récupération de chaleur placé dans le haut du bâtiment ainsi qu’une pompe à chaleur réduiront la consommation énergétique du nouveau temple. « Tout cela permettra d’économiser 50 % des frais de chauffage », se réjouit Christian Foehr. L’aspect esthétique sera fortement amélioré avec la suppression des radiateurs, mais aussi par le remplacement du sas d’entrée vitré. Les vastes et lourdes portes d’entrée et latérales seront conservées, mais motorisées pour répondre aux impératifs de sécurité en cas d’incendie.

La plus grande amélioration du bâtiment réside dans la construction de locaux au sous-sol, qui permettront d’accueillir une zone de stockage, des salles de réunion ainsi que des sanitaires pour les visiteurs et des loges destinées aux artistes qui viennent présenter leurs performances. « Le radier qui passera sous les fondations sera disposé sur une isolation en verre cellulaire recyclé, ce qui permettra d’optimiser l’isolation thermique tout en garantissant le drainage », précise Christian Foehr.

Une rénovation visant à réorienter la vocation traditionnelle du temple

Blaise Menu © Magali Girardin

Pour Blaise Menu, pasteur au sein de l’équipe en charge des activités et des importants travaux qui se déroulent au temple de la Fusterie et modérateur de la Compagnie des pasteurs et des diacres de la Cité de Calvin, la rénovation et la restauration des lieux constituent un engagement très prenant. Ces travaux s’inscrivent dans une réflexion qui s’articule autour de trois axes fondamentaux : l’aspect patrimonial, les considérations énergétiques et l’usage qui incombe au bâtiment. Cet engagement est dans la continuité des expériences collectées au cours des plus de dix ans d’existence du projet « Espace Fusterie », qui a démarré ses activités au printemps 2008, après l’expérience œcuménique de Taizé, fin 2007, à Palexpo.

« Ces dix années nous incitent à les prolonger dans un lieu magnifié, dans un lieu enfin adapté à la polyvalence et à l’articulation d’activités tournant autour du cultuel et du culturel, souligne Blaise Menu, car on ne pouvait plus continuer à les envisager plus longtemps comme jusqu’ici. » Pourtant, comme il le souligne, avec plus d’un an de retard dans l’avancement du projet, les aléas des travaux préparatifs à sa restauration sont venus chambouler la donne. Il a fallu se rabattre sur une ouverture ponctuelle, en équipe réduite. Quoi qu’il en soit, après les travaux, ce lieu restera ouvert autant que possible avec un calendrier de manifestations plus étoffé. « Nous ne voulons pas que l’Espace Fusterie se réduise à une part réservée, seulement spirituelle ou seulement culturelle, mais reste ouvert à sa vocation publique et diversifiée. Nous désirons continuer cette expérience dans un écrin magnifique, car elle a fait ses preuves. Nous n’avons pas l’ambition d’en faire une salle assignée à un seul genre, ce lieu permettant d’accueillir aussi bien du jazz que de la musique classique, des célébrations que des conférences ou encore, à certaines conditions, du théâtre », indique Blaise Menu pour expliquer sa vision de l’avenir. « L’essentiel est que sa restauration lui rende sa qualité. Cela ne pouvait être fait qu’à la condition d’y avoir des locaux d’usage appropriés », poursuit-il. Il a tout de suite été clair que ce qui devait être entrepris ici devait être exemplaire, mais que nous devrions aussi faire des choix qui passent par une pesée des intérêts entre sa rénovation et son usage réel et assumé. »

L’Orchestre St-Pierre – Fusterie se cherche un avenir

Fondé en 1924, l’orchestre classique composé d’une quarantaine de musiciens de tous âges, venant des quatre coins du canton et de milieux très variés, se réunit chaque semaine pour le plaisir de faire de la musique. Le plus ancien orchestre d’amateurs du canton fonctionne sous la forme d’une association de bénévoles constamment à la recherche de soutiens. D’abord pour trouver les fonds qui lui permettent de financer ses activités, mais aussi pour payer la location de certaines des salles où il se produit.

La disponibilité des salles de répétition et de concert constitue une préoccupation récurrente. « On vient de nous annoncer qu’en raison de travaux que devait subir un local que nous pouvions utiliser pour nos répétitions au Bourg-de-Four, celui-ci ne pourrait plus nous accueillir pendant une année et que rien ne nous garantissait de pouvoir de nouveau en bénéficier à l’issue des travaux », déplore Carole Seum, membre du comité.

Carole Seum et Anne-Lise Wuarin © Magali Girardin

Le temple des rues Basses a longtemps été un endroit où l’orchestre donnait des concerts. « J’aimais bien jouer à la Fusterie », se remémore-t-elle. L’acoustique y était excellente. » Les invitations à s’y produire n’ont pas été réitérées depuis plusieurs années. Avec sa collègue flûtiste et membre du comité Anne-Lise Wuarin, elle espère que cela va changer après les travaux de rénovation.

Aujourd’hui, c’est à la cathédrale Saint-Pierre, dans les églises du Grand-Lancy et de Puplinge ainsi qu’à la salle Frank Martin que les concerts se déroulent le plus souvent ; et aussi parfois dans des lieux insolites, comme ce fut le cas en décembre 2015 au Théâtre du Loup pour un mémorable bal masqué et costumé. Le répertoire de l’orchestre est varié : symphonies classiques, œuvres de compositeurs locaux, opéra, opérettes, valses, rien ne semble le rebuter.

Le plus grand défi de cette année concerne la Fête de la musique, lorsque l’Orchestre sera renforcé par les membres de l’orchestre Juventutti, essentiellement constitué de jeunes avec qui il interprétera la quatrième symphonie de Bruckner. Ce concert regroupera au total plus de 80 musiciens.

Une passion qui la propulse bouquiniste sur le parvis du temple

Yvonne Berney © Magali Girardin

Quand on se rend sur le parvis du temple de la Fusterie, on ne peut pas passer à côté des stands des différents marchés qui s’y tiennent en alternance selon les jours de la semaine. Le mardi et le vendredi, c’est au tour des bouquinistes d’y installer leurs tréteaux. L’initiative de déballage des marchands de livres sur la place de la Fusterie revient à Yvonne Berney, secrétaire de longue date de l’Association du Marché aux puces de Genève à laquelle sont rattachés les commerçants du Marché des bouquinistes. Comparé au secteur qui occupe la Plaine de Plainpalais, celui des rues Basses est plus intimiste. Le jour dédié au commerce de livres d’occasion, on y rencontre une quinzaine de marchands quand le beau temps est de la partie. Fidèle au poste bien qu’ayant déjà atteint l’âge de la retraite, Yvonne Berney continue le métier de bouquiniste par passion. Elle déplore pourtant que la situation soit différente pour les jeunes qui doivent y être présents durant de longues journées pour pouvoir vivre de leur métier. « Les temps sont durs, car les gens lisent de moins en moins de livres », constate-t-elle.

« A la Fusterie, on rencontre plus de gens très intéressés qui marchandent moins que sur la Plaine, où il s’agit surtout de badauds qui flânent le long des stands », explique-t-elle. L’ambiance est plus agréable dans les rues Basses, en particulier entre midi et deux heures, quand les employés prennent leur pause du déjeuner en flânant, un sandwich à la main. Ce sont surtout des collectionneurs de livres et de bandes dessinées – sa spécialité – qui viennent s’attarder autour de son étal. « Il faut proposer tous les genres de littérature, y compris les livres de poche et les grands classiques, lâche-t-elle. On y rencontre toujours des amateurs de bandes dessinées, même si l’intérêt pour ce genre s’avère moins important parmi les jeunes. »

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