Comment Genève réinvente son réseau thermique
À Genève, une évolution énergétique majeure est en marche. Depuis la votation populaire du 13 février 2022, l’essor des réseaux thermiques structurants (RTS) est devenu une obligation légale. L’entrée en vigueur, début 2025, de la loi sur l’énergie encadrant leur déploiement marque une étape décisive. Un séminaire organisé par CGI Conseils, de concert avec les directions de l’Office cantonal de l’énergie (OCEN) et les Services industriels de Genève (SIG), a synthétisé les bouleversements en cours.
Les RTS permettent d’acheminer des énergies renouvelables et de récupération, produites localement et centralisées. Géothermie, stations d’épuration, biomasse, ou encore l’eau du lac : autant de sources capables d’alimenter ces nouveaux réseaux de chauffage et de refroidissement pour lesquels les SIG vont déployer d’ici à 2030 plus de 250 kilomètres de canalisations. Le canton a inscrit l’objectif de l’extension des RTS dans son Plan directeur de l’énergie, avec la volonté de réduire de 60 % les émissions de gaz à effet de serre dans les cinq prochaines années. D’ici à 2030, les RTS devraient ainsi alimenter environ 1700 bâtiments fournissant 1150 GWh/an de chaleur et 150 GWh/an de froid, avec un taux d’énergie non fossile de 80 %. À l’horizon 2050, le Plan directeur de l’énergie prévoit de couvrir plus de 50 % de la demande thermique du canton, soit environ 7000 bâtiments.
Genève s’engage dans une révolution thermique dont l’ampleur se mesurera sur plusieurs décennies.
Les SIG bénéficient d’un monopole pour construire et développer ces RTS et ont la mission de raccorder progressivement tous les bâtiments situés dans les zones d’influence définies par le Conseil d’État. Hors de ces zones, des alternatives existent : réseaux thermiques de quartier, solutions privées comme les pompes à chaleur ou l’utilisation de la biomasse. Mais, pour tous les autres habitants concernés, le passage à un réseau structurant est aujourd’hui une nécessité. « Il n’est désormais plus possible de remplacer une chaudière par une solution utilisant une énergie produite à partir d’un combustible fossile », rappelle Cédric Petitjean, directeur général de l’OCEN.
Raccordements et solutions provisoires
Dans les zones où des réseaux thermiques structurants sont déjà déployés, les démarches sont clairement établies : une demande d’information thermique (DITH) permet d’obtenir un préavis, puis une étude de faisabilité précède la signature de l’offre de raccordement. Ensuite, les SIG effectuent les travaux et mettent en service la sous-station. Mais la situation se complique si les réseaux ne sont pas encore en place. Dans ce cas, les solutions provisoires sont limitées. « Faites durer vos installations utilisant des énergies fossiles autant que possible », recommande l’avocate Marie Savary, juriste à l’OCEN, précisant que l’office ne validera une alternative temporaire qu’en cas de nécessité absolue. En clair, il faudra patienter jusqu’à ce que le réseau soit disponible. Une coordination fine entre les différents acteurs est donc essentielle pour éviter les blocages techniques et administratifs. « Nous devons trouver un équilibre entre pragmatisme économique et engagement environnemental. Notre objectif est de rendre ce changement bénéfique pour tous », insistent les spécialistes des SIG.
Enjeux économiques et impacts urbains
Le déploiement des RTS implique d’importants chantiers, impactant la circulation routière et la vie des commerces. « Cela va être Verdun ! », prévient même un intervenant lors du séminaire, conscient des perturbations à venir. Un effort de communication est a priori prévu pour informer les riverains et les entreprises concernées. Côté tarifs, le Conseil d’État a mis en place un cadre réglementaire qui fait débat (voir encart ci-contre).
Toutefois, la transition ne se limite pas à une question technique et financière. Elle implique aussi un changement d’habitudes et de mentalités. Les SIG doivent ici convaincre, rassurer et accompagner les propriétaires et les acteurs de l’immobilier. Le défi est de taille. Entre exigences environnementales, adaptation des infrastructures et acceptabilité sociale, Genève s’engage dans une révolution thermique dont l’ampleur se mesurera sur plusieurs décennies.
La question des tarifs des RTS n’est pas close
Le Conseil d’État a rendu public les tarifs des SIG qu’il a approuvés pour les RTS. Comme SIG agit en position de monopole, l’accord du Surveillant des prix est indispensable. Pourtant ses recommandations n’ont pas été suivies. En substance, le surveillant des prix relève :
- que la formule tarifaire est inintelligible, alors qu’elle devrait être transparente pour les administrés, facilitant ainsi son acceptation ;
- que les droits de raccordement sont excessivement élevés et parfaitement dissuasifs, ne favorisant pas le développement des RTS ;
- que les prix tels que décidés par le Conseil d’État ne trouvent pas d’équivalent en Suisse tant ils sont élevés et, singulièrement, qu’une comparaison avec le prix du gaz, dont la moyenne s’établit à 12,71 centimes du kWh à Genève, correspond à la moitié du coût du kWh RTS le plus élevé décidé par le Conseil d’État ;
- que le calcul du prix tel qu’effectué par les SIG ajoute des primes qui, selon l’avis du Surveillant des prix, mènent à « un rendement disproportionné ».
Relevant que la législation fédérale impose de se conformer aux remarques du Surveillant des prix, notre vice-présidente et députée PLR Mme Diane Barbier-Mueller a déposé une motion en ce sens. Elle a trouvé un large soutien au sein du Grand Conseil et en dehors puisqu’un très grand nombre d’associations, dont l’ASLOCA, soutiennent cette démarche. Il faut dire que le doublement du prix de l’énergie ne peut nous laisser indifférents.
Les tarifs sont consultables en ligne : https://media.sig-ge.ch/documents/tarifs_reglements/thermique/tarifs/tarifs_thermique.pdf