Jurisprudences récentes – Décembre 2025
Me Géraldine Schmidt revient dans ce numéro sur les dernières jurisprudences.
LA CAPACITÉ D’ACCUEIL D’UN LOCAL COMMERCIAL INFÉRIEURE À L’ATTENTE DU LOCATAIRE CONSTITUE-T-ELLE UN DÉFAUT DE LA CHOSE LOUÉE ?
Dans le cas que traite le Tribunal fédéral dans l’arrêt rendu le 21 août dernier (arrêt 4A_41/2025), un contrat de bail, signé en date des 30 août et 3 septembre 2019, porte sur un local commercial destiné à être exploité comme restaurant, bar et club. Le contrat de bail ne prévoit aucune clause relative à la capacité d’accueil maximale du local. Il mentionne seulement l’usage commercial autorisé, sans autre limitation.
Au mois de mars 2019, une société procède à un contrôle de sécurité incendie dans les locaux litigieux. Par une décision datée du 21 mars 2019, la capacité maximale des locaux est fixée à 200 personnes en simultané et il est également prévu que toute occupation supérieure à 200 personnes n’est tolérée que si les issues de secours sont adaptées, du fait que la sécurité existante ne permet pas d’accueillir plus de personnes. Le locataire déclare alors que cette limitation de capacité constitue un défaut de la chose louée au sens de l’art. 256 CO, dès lors qu’elle empêche l’exploitation normale du club, et il sollicite du bailleur la mise en conformité du bâtiment par l’adaptation des sorties de secours. Après de multiples échanges entre les parties et une mise en demeure restée vaine, le locataire consigne ses loyers à compter du mois de janvier 2020.
Dans le cadre de la procédure, le locataire demande notamment que le bailleur soit obligé d’adapter les issues de secours et remédie aux défauts en matière de sécurité incendie, à ce qu’une réduction de loyer d’au moins 25% lui soit accordée dès le mois de mai 2020 et jusqu’à la suppression du défaut, à ce que le bailleur lui verse des dommages-intérêts de près de CHF 30’000.- et à ce que le solde des loyers consignés lui soit restitué.
Par décision du 30 juin 2022, le Tribunal rejette intégralement la demande et ordonne la libération des loyers en faveur du bailleur. Le Tribunal retient qu’aucun défaut n’a été établi et que la limite de 200 personnes relève des prescriptions de droit public (sécurité incendie) et non d’un vice du bien loué. Il retient également qu’aucune promesse contractuelle d’une capacité supérieure n’a été prouvée et que les échanges entre les parties au sujet de la capacité ne constituent pas une reconnaissance de défauts, mais des discussions en lien avec le dossier. Au surplus, le bailleur n’était pas tenu d’effectuer des travaux d’adaptation sans exigence formelle des autorités. Sur appel, ce jugement est entièrement confirmé.
Le locataire saisit alors le Tribunal fédéral d’un recours en matière civile, en sollicitant l’annulation du jugement cantonal, la condamnation du bailleur à effectuer les travaux de mise en conformité, une réduction de loyer de 25%, des dommages-intérêts et le versement du solde des loyers consignés en sa faveur.
Le Tribunal fédéral, quant à la nature du prétendu défaut, confirme que la décision querellée n’a pas réduit une capacité antérieure supérieure quant au nombre de personnes et que la société intervenue en mars 2019 n’a fait que fixer pour la première fois la limite de 200 personnes. Le plafonnement à 200 personnes découle donc d’une application du droit public cantonal, indépendant de la volonté des parties.
Le défaut au sens de l’article 256 CO suppose que le bien loué présente un défaut matériel ou juridique empêchant l’usage convenu. Or, ici, la limitation de capacité résultant d’une norme publique existante ne constitue pas un défaut engageant le bailleur, sauf promesse contraire. Le locataire ne pouvait donc pas raisonnablement s’attendre à pouvoir accueillir plus de 200 personnes sans respect des normes incendie. Concernant les échanges intervenus entre les parties, notre Haute Cour retient qu’il s’agissait d’une volonté de mûrir une solution commune et non une reconnaissance d’un défaut de la chose louée. Le recours est par conséquent rejeté.
Cet arrêt est intéressant car il rappelle qu’un bien n’est pas considéré comme défectueux lorsqu’il respecte les normes de droit public applicables, même si celles-ci entraînent des limitations d’usage que le locataire découvre ultérieurement.
ÉPILOGUE SUR LA FERMETURE DES LOCAUX COMMERCIAUX EN RAISON DE LA PANDÉMIE DE COVID-19: AUCUN DÉFAUT DE LA CHOSE LOUÉE CONSTATÉ
Dans l’arrêt du Tribunal fédéral 4A_37/2025 du 11 septembre 2025, notre Haute Cour rappelle que la doctrine distingue entre la propriété objective – liée à la chose louée – et la propriété d’exploitation – liée à l’activité du locataire.
Sur cette base, il conclut que les fermetures ordonnées durant la pandémie de Covid-19 relèvent de la seconde catégorie : elles touchent l’activité économique du locataire, et non l’objet loué lui même, qui reste approprié à son usage. Admettre l’inverse reviendrait à transférer au bailleur le risque entrepreneurial. Les mesures étatiques, motivées par la nécessité de santé publique, n’avaient ni pour objet ni pour effet de modifier la structure ou la fonctionnalité du bien loué : elles interdisaient seulement au locataire d’exercer temporairement son activité. Le lien de causalité nécessaire entre le défaut et la chose fait donc défaut.
Nous saluons cette décision bienvenue, mais regrettons qu’elle n’intervienne que si tardivement, après que de nombreux dossiers ont déjà été tranchés ou soldés par voie amiable, faute de position claire.
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