Le château de Dardagny : un écrin de choix pour les temps forts de l’existence

21 juin 2019
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Le désir des Dardagnottes d’offrir à leur progéniture un enseignement de qualité dans un cadre propice à leur épanouissement a été un élément majeur de la survie du château de Dardagny. Mais ce n’est pas tout : la demeure seigneuriale est idéalement située sur un magnifique promontoire d’où le regard s’étend jusque sur les crêtes du Salève, la montagne fétiche des Genevois. Elle est aussi un cadre idyllique pour les grandes fêtes et les mariages de rêve.

Les historiens qui se sont penchés sur l’origine du château de Dardagny estiment que ses premiers vestiges datent de plus de 700 ans. Ils ont découvert qu’entre le XIIIe et le XVIIe siècle, deux maisons fortes voisines occupaient le monticule où se situe le château actuel. C’est en reliant ces deux bâtisses par une galerie que leur propriétaire leur donna l’aspect d’un véritable château, au XVIIe siècle.

On retrouve des traces de cette disposition originelle en pénétrant dans le hall d’entrée du château, qui servait à l’origine de cour intérieure commune aux deux corps de bâtiment. Un vénérable cadran solaire – heureusement préservé – trône toujours contre une façade autrefois extérieure.

On peut l’admirer en gravissant l’escalier menant au premier étage du château pour atteindre la mairie. Cette cour fut couverte et quatre tours vinrent s’y ajouter à chacun de ses angles, ce qui lui conféra définitivement son caractère majestueux. Mais alors que le château représentait encore une très grande seigneurie au XVIIe siècle, une bonne partie du domaine fut vendue pour en financer l’entretien et la restauration. L’inscription datée de 1781 que l’on voit toujours sur le fronton sud résume assez bien le leitmotiv qui a présidé à la sauvegarde du château : Curarum dulche levamen (doux soulagement aux peines).

Une sauvegarde plébiscitée par la population

 

Il s’en est fallu de peu pour que le château disparaisse du patrimoine historique du Canton de Genève. Racheté par la commune en 1904, il semblait voué à la démolition en raison de son état avancé de délabrement. Du fait des coûts élevés que sa rénovation aurait nécessités, les experts et les autorités communales étaient d’avis de le raser pour y construire une école.

Cette décision souleva des polémiques au sein de la population en raison du caractère hautement symbolique de l’édifice.

Parmi les défenseurs de sa conservation, on compta en particulier Henri Fazy, conseiller d’Etat et historien, cousin du politicien radical James Fazy et filleul du général Guillaume-Henri Dufour. A la suite de la visite de celui-ci en 1916, en compagnie du chef du département de l’instruction publique du canton, il fut décidé de sursoir à la démolition.

La guerre de 14-18 empêcha pourtant le projet de restauration d’avancer et ce n’est qu’en 1926 que la situation se débloqua et que les travaux démarrèrent. Cela commença par la rénovation de la toiture, la tour sud-est et la façade méridionale.

La Confédération alloua une subvention de 11 250 francs, une somme relativement conséquente pour l’époque, mais assez modeste au vu de tous les travaux qu’il fallait engager. Le Canton, la commune et les citoyens de la commune y consacrèrent des sommes importantes au fil de l’avancement des travaux de réfection.

Les coûts totaux des quatre premières périodes de restauration furent évalués à l’époque à près de 250 000 francs. Sur ce montant, le Conseil d’Etat du Canton de Genève accepta en 1925 une demande de crédit de 15 900 francs pour participer à la première étape des travaux de restauration.

Un symbole historique fort pour le village

Le chantier qui s’engagea alors s’avéra beaucoup plus important que prévu. Il engloba la constitution d’un mur de soutènement, l’aménagement des espaces extérieurs et intérieurs, la réfection de la salle des chevaliers du rez-de-chaussée et la création d’appartements au deuxième étage.

Au total, six campagnes de rénovation se succédèrent avant que le bâtiment soit ouvert au public en 1932. Il sera classé officiellement par le Grand Conseil trois ans plus tard.

Il s’inscrit dans un écrin particulièrement distingué, car la commune a décroché en 1978 le prix Wakker de la ligue suisse du patrimoine national pour la préservation de son environnement.

Aujourd’hui, le château semble inéluctablement tiraillé entre sa vocation utilitaire, qui a fait perdurer son existence, son caractère emblématique et son empreinte historique indéniable. Son avenir est aussi directement lié à ce double rôle.

Quentin Béran, archéologue et historien de l’art

Quentin Béran, archéologue et historien de l’art

Historien de l’art au sein du Département de l’histoire de l’art de l’Université de Genève, il nous indique que le plus grand intérêt du château de Dardagny réside dans sa situation : « Il se situe aux confins des frontières de la Suisse, ce qui lui conféra un rôle majeur dès son édification ». Et ce rôle ne date pas d’aujourd’hui. Des vestiges d’origine romaine ont été retrouvés sur la colline où il se dresse.

Le château est resté pendant longtemps en mains privées et n’a été sauvé que par des protestations populaires. Pour de nombreux Dardagnottes et férus d’histoire, il n’était pas concevable qu’il soit menacé de destruction.

« Il s’agit du dernier des grands châteaux à avoir été restauré et sa protection est assez récente », rappelle Quentin Béran.

«Son état de décrépitude était déjà très avancé et les rénovations qui ont eu lieu au XXe siècle étaient nécessaires aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur. »

Il s’agit d’un des 39 monuments du canton de Genève à bénéficier d’une double protection étatique, en l’occurrence celle du Canton de Genève et de la Confédération. Son plan avec ses quatre tours d’angle est aussi très typique et sa salle des Chevaliers ornée de peintures en trompe-l’œil date de la fin du XIXe siècle.

« Il faudrait pourtant mieux valoriser son environnement, en particulier en le mettant en relation avec son temple et il faut regretter que certaines bâtisses attenantes qui servaient d’entrepôt aient été détruites, même si leur valeur historique intrinsèque ne présentait pas un intérêt majeur », relève Quentin Béran. « Et son rôle multiple s’est avéré problématique dès le début. Les chiffres du basculement de la démographie du village vers La Plaine font que l’on pourrait y regrouper les deux écoles de la commune. Mais les habitants sont très attachés au maintien de salles d’école au sein du château ».

Pierre Duchêne, un maire entièrement dévoué à sa tâche

Pierre Duchêne, Maire de Dardagny

Maire de Dardagny depuis huit ans après avoir siégé comme conseiller communal durant neuf années, Pierre Duchêne a quitté la ville pour s’installer dans le village du Mandement. Il en est véritablement tombé amoureux et a même épousé une fille du village. Il est particulièrement fier de nous faire visiter le château qui abrite les locaux de la mairie, ainsi que quatre classes d’école, des appartements dans les combles et surtout la salle des chevaliers. « Le château fait partie de la carte de visite du village », déclare-t-il fièrement.

Il nous fait découvrir avec délice le magnifique décor d’apparat de cette salle qui abrite non seulement les conseils administratifs de la commune, mais aussi des mariages et des réunions que le caractère somptueux des lieux attirent. Le décor peint en trompe-l’œil datant à l’origine du XVIIe siècle est étonnant et restitue bien la noblesse de son passé. Il nécessiterait pourtant une nouvelle restauration, comme l’admet Pierre Duchêne. Ce dernier pointe un vaste caisson situé en encorbellement au-dessus de la porte d’entrée, là où se trouvait un orgue aujourd’hui disparu qui a été vendu pour financer les travaux de rénovation.

Il insiste sur la situation exceptionnelle du château. « Nous avons obtenu un droit de vue sur le devant du château », souligne-t-il. Cela empêche toute construction qui risquerait de masquer la vue sur le Salève et ses alentours. Pour ce qui est de l’état actuel du château, il est assez optimiste. « Son ossature tient bien le coup, les murs et la charpente sont en bon état, les vitrages ont été changés à cause des risques d’infiltrations dues aux intempéries », précise-t-il.

De plus, le carnotzet a été rénové en 2004. Il faut dire que le château est un véritable écrin pour les vignerons du village qui cultivent une trentaine de cépages différents.

Jean-Claude Ferrier, locataire du château

Jean-Claude Ferrier, locataire du château

Arrivé en octobre 1967 à Dardagny, où il s’installa tout d’abord dans une maison du village, cet ancien chef d’édition à la Tribune de Genève emménagea dans un appartement situé dans les combles du Château de Dardagny quand sa précédente location dans le village arriva à son terme.

Lui qui avait passé son enfance dans le quartier de Sécheron reconnaît avoir rapidement été adopté dans la commune, même si elle est assez éloignée du centre-ville où il se rendait au travail au volant de sa 2 CV. « Je me suis vite fait des copains rien qu’en me rendant au bistrot du village. Avec les vignerons, il y a toujours des pointes d’humour qui fusent dans les discussions », dit-il. Les amitiés qu’il y a nouées l’ont profondément lié au village.

Il n’a jamais regretté son choix : « Tous les jours, quand je descends les escaliers, je me dis que j’ai de la chance d’habiter ici. » Il admet malgré tout commencer à avoir un peu de peine à monter les escaliers qu’il empreinte pour rejoindre sa demeure. Mais la vie au château est forte en événements.

« J’adore observer les invités qui viennent pour les mariages qui se donnent au château, surtout quand il fait beau et qu’ils prennent l’apéro sur la terrasse », indique Jean-Claude Ferrier. Ces fêtes occasionnent parfois des situations cocasses, par exemple quand on lui a demandé son carton d’invitation alors qu’il franchissait le seuil du château. « Mais j’habite ici », rétorqua-t-il au cerbère en charge du contrôle des invités, fort surpris de se trouver face au châtelain des lieux. Ou lorsqu’il infiltra sa guimbarde au milieu d’un alignement de Porche rutilantes exposées sur l’esplanade à l’occasion d’une présentation commerciale très guindée.

L’école de la cohésion et du bien-vivre ensemble

Vivienne Wälti, maîtresse responsable du site

Quand on s’approche du château de Dardagny à l’heure de la récréation, on s’étonne que l’esplanade du bâtiment soit pareillement animée et résonne des jeux de joyeuses bandes d’enfants. Ceux qui ne connaissent pas la vocation des lieux en sont surpris. Occupant quatre salles de classe dans le château, l’école de Dardagny accueille une septantaine d’élèves de la division moyenne.

Elle fait partie, avec celles de Russin et de La Plaine, de l’établissement scolaire du Mandement. « Cinq adultes officient comme enseignants », précise Vivienne Wälti, maîtresse responsable du site. Enseignante depuis 1992 dans le village, elle y a grandi en suivant les classes à Dardagny, Russin et La Plaine et connait donc bien les habitants de la commune.

« Quand j’ai appris qu’un poste était libre à l’école de Dardagny, j’ai d’abord été réticente, mais on m’a convaincue de postuler et je n’en suis plus partie », souligne-t-elle.

« Avec mes collègues, nous défendons les mêmes valeurs, les mêmes attentes et faisons respecter des règles identiques. »

Entre enseignants, la règle est au décloisonnement des classes qui sont à plusieurs degrés, les grands aident tout naturellement les plus petits. Ce mode de fonctionnement est aussi favorisé par des permutations des élèves et enseignants entre les classes. « Cela débouche sur une équipe bien soudée. On se serre les coudes pour régler les problèmes en commun », ajoute Vivienne Wälti.

Les conseils de classe renforcent encore ce bon vivre ensemble. « L’important est que chaque élève participe activement à la vie de l’école et y soit bien intégré. En ville, ce n’est pas le même métier, même si l’on a aussi dans la commune des enfants qui arrivent de la ville et de pays en guerre. » Elle admet bien volontiers devoir parfois gérer des conflits, mais la bonne cohésion qui règne entre enfants et maîtres facilite leur résolution.

La proximité et les contacts avec la mairie située un étage plus haut facilitent aussi la résolution des petites anicroches de la vie communautaire dans le même bâtiment. « Elle est très réceptive quand il s’agit de nous soutenir », explique Vivienne Wälti. Cette ambiance agréable lui fait dire que pour rien au monde, elle ne changerait d’école.

 

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