Ne brisons pas l’équilibre suisse pour une illusion fiscale
Le 30 novembre prochain, le peuple suisse se prononcera sur l’initiative de la Jeunesse socialiste dite « Pour l’avenir ». Derrière un intitulé séduisant se cache en réalité un bouleversement profond de notre modèle.
Depuis plus d’un siècle, la Suisse a su concilier solidarité, compétitivité et cohésion sociale. Cet équilibre, fruit d’une construction patiente, repose sur un contrat implicite : chacun contribue à la mesure de ses moyens et l’État garantit en retour stabilité et prévisibilité. L’initiative dite «Pour l’avenir» entend briser cette logique en introduisant un impôt fédéral de 50% sur les successions de plus de 50 millions de francs. Il s’agit d’une mesure radicale et idéologique, qui met en péril la transmission des entreprises et l’attractivité de notre pays.
Genève illustre mieux que n’importe quel autre canton les dangers d’une telle rupture. Le canton concentre une forte densité de personnes directement touchées par ce texte. Ces contribuables ne sont pas de simples chiffres statistiques : ils constituent l’ossature des finances publiques.
À Genève, 1,3% des contribuables paient 78% de l’impôt sur la fortune et 4,4% assurent 53% de l’impôt sur le revenu, soit 2,25 milliards de francs en 2024. En parallèle, 36% des habitants ne paient aucun impôt sur le revenu. Cette pyramide inversée fonctionne tant que la confiance est maintenue. Mais dès qu’une incertitude fiscale majeure surgit, l’équilibre se fragilise. Et si ces contribuables mobiles s’en vont, c’est tout le système qui s’écroule.
La majorité silencieuse, que les initiants prétendent protéger, serait en réalité la première pénalisée.
Les conséquences seraient en effet immédiates, matérialisées par une perte de centaines de millions de recettes fiscales. Elles devraient être compensées par des hausses d’impôts pour ceux qui restent, à savoir la classe moyenne, ou pourraient engendrer des coupes drastiques dans les prestations publiques dont le financement ne serait plus assuré. La majorité silencieuse, que les initiants prétendent protéger, serait en réalité la première pénalisée. Loin de s’attaquer seulement aux grandes fortunes, l’initiative menace le quotidien de toutes et tous : services de santé, infrastructures, soutien aux familles, formation et épargne des ménages.
Un effondrement fiscal pour toute la Suisse
Les promoteurs de l’initiative affirment que celle-ci permettra de dégager de nouvelles recettes. Cet argument ne résiste pas à l’examen. Le Conseil fédéral l’a dit sans détour : l’adoption de la mesure provoquerait non pas un gain, mais une perte nette de 2,8 à 3,5 milliards de francs par an pour les finances publiques. Pourquoi ? Parce que les personnes concernées disposent d’une grande mobilité ou peuvent transformer leur fortune pour la rendre mobile et gagner ainsi en flexibilité, ce qui leur permettrait de quitter le pays et de ne plus être soumises à ces dispositions iniques. Lorsqu’un pays instaure un impôt jugé confiscatoire, les patrimoines s’évaporent rapidement. Le professeur Marius Brülhart, de l’Université de Lausanne, estime que 77% à 95% de la base fiscale visée disparaîtrait ainsi. Autrement dit : l’assiette d’imposition fondrait presque totalement, laissant derrière elle un gouffre financier qui devrait être assumé par ceux qui restent.
La réalité est implacable : plutôt qu’une manne, l’initiative créerait un effondrement fiscal et une pression plus importante encore sur ceux qui restent. Les grandes fortunes partiraient, emportant avec elles leurs revenus, leurs investissements, ainsi que leur contribution aux fondations et à la vie économique locale. Des entreprises familiales, transmises de génération en génération, seraient affaiblies, contraintes de délocaliser ou de vendre. La Suisse perdrait alors non seulement des recettes fiscales, mais aussi un pan de son tissu économique et social. À trop vouloir tirer sur la corde, celle-ci se brise et il sera difficile de la réparer ou de la remplacer sans pertes et fracas.
La stabilité fiscale et la diversité cantonale sont des acquis précieux, garants de la confiance et de la prospérité.
Au-delà des chiffres, c’est une rupture du contrat social helvétique qui se profile. La stabilité fiscale et la diversité cantonale sont des acquis précieux, garants de la confiance et de la prospérité. L’initiative balaie ces fondements en instaurant un impôt fédéral uniforme et centralisé, contraire à l’esprit du fédéralisme. De fait, les cantons sont libres d’imposer des droits de succession et de donation. D’ailleurs, Genève dispose déjà d’un arsenal législatif en la matière.
Or, l’avenir de la Suisse ne peut pas se bâtir sur la méfiance ni la fuite en avant. Il repose sur la continuité de ce qui a fait notre force : la capacité à conjuguer solidarité et attractivité ainsi qu’à financer des prestations publiques de qualité grâce à une fiscalité équilibrée et prévisible. Dire non à l’initiative, ce n’est pas protéger les «riches» contre les «pauvres», c’est défendre un modèle qui profite à toute la population ; c’est refuser une illusion fiscale qui mettrait en péril nos finances, nos services publics et, finalement, notre cohésion nationale.
Le 30 novembre prochain, il nous appartient de préserver l’équilibre construit par des générations avant nous – pour l’avenir, le vrai, celui de la prospérité.
Votons NON et appelons à voter NON à l’initative dite « Pour l’avenir » !



















