Jurisprudences récentes – Septembre 2025
Me Géraldine Schmidt revient dans ce numéro sur les dernières jurisprudences.
UNE RÉSILIATION POUR VIOLATION DU DEVOIR DE DILIGENCE PEUT-ELLE ÊTRE VALABLE SANS MISE EN DEMEURE PRÉALABLE ?
Dans l’arrêt rendu par la Chambre des baux et loyers le 8 avril 2025 (ACJC/516/2025), un contrat de bail est conclu entre une société coopérative (bailleresse), laquelle est au bénéfice d’un droit de superficie distinct et permanent sur la parcelle, et deux locataires. Le contrat de bail porte sur la location d’un atelier situé dans le bâtiment litigieux. Une des locataires est une société dont le but est la mise en place d’ateliers de tricotage, de couture artisanale africaine et d’ateliers audiovisuels. Les locaux ont donc été loués à destination de l’exercice de ces activités. La locataire a déposé une autorisation de construire en ce sens, autorisation qu’elle a obtenue. Les travaux n’ont toutefois jamais été effectués.
En février 2023, suite à une plainte, la bailleresse a découvert que la locataire utilisait son local, dans lequel étaient installées environ 80 chaises, pour l’organisation de réunions, notamment de cultes religieux. Aussi, par avis officiel de résiliation du bail du 1er mars 2023, le bail a été résilié pour le 30 novembre 2023 pour justes motifs. Dans le courrier d’accompagnement, il a été rappelé que les locaux avaient été loués en vue de l’exploitation d’un atelier de tricotage, voire de couture, et qu’il avait été constaté que les locaux avaient été transformés en salle de réunion, ce qui n’était pas conforme au but envisagé par le bail et comportait des risques de sécurité, les locaux ne devant pas être fréquentés par plus de seize personnes.
La locataire a contesté le congé et porté la cause devant le Tribunal des baux et loyers en invoquant l’inefficacité du congé. Elle a contesté le motif de la résiliation et a relevé qu’aucune mise en demeure ne lui avait été adressée. Elle a indiqué «qu’elle n’aurait pas donné suite à une demande d’exploiter un atelier de couture dans les locaux car cette activité n’était plus envisageable en raison du COVID-19, les investisseurs s’étant retirés du projet».
Cet arrêt est très intéressant car il rappelle les différentes résiliations extraordinaires possibles et les motifs qui peuvent être invoqués à l’appui de chacune d’elles.
Dans son jugement du 24 juillet 2024, le Tribunal des baux et loyers a déclaré le congé efficace et valable en retenant qu’il fallait analyser la validité du congé sous l’angle de l’art. 257f CO (violation du devoir de diligence par le locataire) vu les motifs invoqués à l’appui de ladite résiliation, article dont les conditions étaient réunies. Le Tribunal des baux et loyers a en effet retenu que la bailleresse pouvait se dispenser d’envoyer un avertissement préalable car il aurait été inutile, la locataire ayant déclaré en audience que même si elle avait reçu un avertissement, elle n’aurait pas modifié l’affectation des locaux. La locataire a formé appel de ce jugement.
La Chambre des baux et loyers a, dans un premier temps, rappelé qu’une résiliation pour justes motifs était subsidiaire à toutes les autres résiliations et que lorsque le bailleur se trompait dans la qualification de la résiliation, le juge pouvait procéder à la rectification nécessaire. La deuxième instance cantonale a ensuite listé les conditions de validité d’une résiliation pour violation du devoir de diligence et souligné que le bailleur ne pouvait se dispenser de l’envoi d’une mise en demeure qu’à titre exceptionnel, au risque de vider de sens l’exigence posée par l’article 257f, al. 3, CO de l’existence d’une mise en demeure préalable non suivie d’effet.
Dans le cas présent, la Chambre des baux et loyers a considéré que les locaux avaient été loués à destination d’un atelier de couture et qu’ils n’avaient jamais été exploités à cette fin, la locataire les ayant utilisé pour y organiser des réunions et des cultes religieux. Lorsqu’elle l’a appris, la bailleresse a procédé à la résiliation immédiate du bail pour justes motifs, sans mise en demeure. Il ressort toutefois de la procédure que la locataire a déclaré qu’elle n’aurait pas donné suite à une demande de la bailleresse d’exploiter les locaux en ateliers de couture car cette activité n’était plus envisageable depuis le COVID, les investisseurs s’étant désistés. Le changement d’affectation reproché à la locataire représente une violation de son contrat de bail qui ne permet pas une résiliation pour justes motifs, mais peut en revanche justifier une résiliation pour violation du devoir de diligence.
La Cour a considéré que c’était à bon droit que le Tribunal des baux et loyers avait retenu que la bailleresse pouvait être dispensée de l’envoi d’une mise en demeure, qui n’aurait pas été suivie d’effet vu les déclarations de la locataire, tout en rappelant que cette dispense doit être admise à titre exceptionnel. Le jugement du Tribunal des baux et loyers a par conséquent été confirmé.
Cet arrêt est très intéressant car il rappelle les différentes résiliations extraordinaires possibles et les motifs qui peuvent être invoqués à l’appui de chacune d’elles.
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