Notre-Dame des Grâces : un repère spirituel et patrimonial au Grand-Lancy

5 septembre 2025
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Sise à l’avenue des Communes-Réunies, l’église Notre-Dame des Grâces, dédiée à la Vierge Marie, conjugue style néogothique, expression artistique et vie pastorale. Son orgue italien restauré, ses vitraux contemporains et ses dix cloches rythment une communauté attentive à la liturgie, à l’accueil et à la jeunesse.

©Magali Girardin

Aux enjeux du temps, une réponse locale

La genèse de l’église s’ancre dans le contexte mouvementé de la fin du XIXe siècle. À cette époque, le Grand-Lancy connaît une transformation rapide : l’urbanisation s’accélère, la population augmente et la communauté catholique, bien que dynamique, voit ses repères bouleversés. A la suite des tensions du Kulturkampf, la paroisse perd son lieu de culte. Trop étroite, la chapelle provisoire de Saint-Michel ne suffit plus à accueillir les fidèles. Dans ce climat d’instabilité institutionnelle et de pression démographique, la question d’un nouveau sanctuaire devient urgente.

L’abbé Joseph Mantilleri, curé du Grand-Lancy, décide alors de porter ce projet avec conviction. Plus qu’une réponse à un besoin pratique, il s’agit de redonner à la paroisse un lieu symbolique, visible et fédérateur. Le projet naît dans une Genève encore marquée par des clivages religieux profonds : bâtir une église en 1912, c’est aussi affirmer une présence, proposer un ancrage dans un paysage social en pleine recomposition.

©Magali Girardin

L’architecture, profession de foi

Inspirés par les vestiges cisterciens de Saint-Jean d’Aulps, les architectes P. Brun et J. Zumthor conçoivent un édifice élancé, structuré autour de trois nefs, d’un transept et d’un chœur polygonal. Le clocher-porche, haut de 47 mètres, est surmonté d’une croix en fer forgé renfermant une relique de la Vraie Croix. Sa charpente métallique, dissimulée sous un parement de pierres rustiques, conjugue innovation technique et profondeur spirituelle.

Le vocable choisi, Notre-Dame des Grâces, fait écho à un ancien sanctuaire marial disparu. À proximité, une maison de style bourgeois genevois — ancien corps de ferme reconverti en presbytère — vient compléter cet ensemble.

Cette implantation témoigne d’un double mouvement: affirmer une présence visible et durable dans un quartier en pleine mutation, tout en s’inscrivant dans une tradition locale porteuse de sens.

Un langage de verre et de lumière

L’église Notre-Dame des Grâces se distingue par un cycle de vitraux remarquable, pensé comme une véritable catéchèse visuelle. Les verrières inférieures racontent la vie terrestre de Marie : de sa naissance à l’Assomption, en passant par la Présentation au Temple, les Fiançailles avec Joseph, l’Annonciation, la Visitation ou la Nativité. Le deuxième niveau est consacré à sa vie céleste, selon la tradition des Pères de l’Église (à travers les litanies mariales): Marie reine des anges, des apôtres, des confesseurs, des vierges, des martyrs. Enfin, tout en haut, les vitraux déploient un langage symbolique inspiré de la nature : lys, olivier, soleil, fleur précieuse, à travers les litanies de la Vierge.

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Certains vitraux ont été offerts par de grandes familles de la commune; d’autres portent la mémoire d’événements historiques, comme celui offert par des réfugiés belges durant la Première Guerre mondiale. Chaque vitrail, patiemment restauré au fil du temps, constitue un pont entre l’histoire sacrée et la mémoire collective du quartier.

Un patrimoine musical vivant

Installé en 1913, un orgue exceptionnel, signé Giuseppe Gandini, a été restauré un siècle plus tard entre 2016 et 2018, après un long silence. Probablement installé à l’origine dans un théâtre italien, l’instrument est remarquable tant par sa facture que par sa projection sonore. La restauration, confiée à la manufacture Colzani (Italie) et supervisée par Diego Innocenzi, titulaire des orgues du Victoria Hall et des temples de Vandœuvres et de Saint-Gervais, a permis de retrouver sa configuration d’origine avec un soin extrême: 1’266 tuyaux, 352 sommiers, 124 membranes et une partie de la tuyauterie ont été refaits ou restaurés selon les plans de 1927.

Aujourd’hui, le grand orgue trône au-dessus du portail d’entrée, surplombant la nef comme une sentinelle musicale.

Certains jeux emblématiques, comme le Trombone 16 ou la Voce Celeste, ont été rétablis et le Salicional a retrouvé sa couleur d’origine. Le pédalier basculant, rare en Suisse, permet un jeu expressif fidèle à l’esprit italien du XIXe siècle. L’orgue possède deux claviers, un crescendo-decrescendo et une console reconstruite à l’identique.

©Magali Girardin
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Quand l’instrument reprend voix

Aujourd’hui, le grand orgue trône au-dessus du portail d’entrée, surplombant la nef comme une sentinelle musicale. Il est utilisé lors des grandes fêtes liturgiques, mais aussi pour des concerts d’orgue solo ou avec orchestre, deux fois par an. Des visites sont régulièrement organisées pour les enfants dans le cadre des retraites ou de la formation musicale. L’organiste titulaire Jean-Christophe Orange collabore avec le Conservatoire pour faire découvrir cet instrument à de jeunes musiciens en devenir.

Le petit orgue de chœur, quant à lui, est utilisé pour les temps plus intimes comme le Carême. Ensemble, ils forment un duo acoustique précieux.

Des lieux liés à la mémoire

En contrebas du sanctuaire, une grotte construite en 1921 sur le modèle de Lourdes accueille fidèles et passants. Abritée sous les ombrages et bordée par une source, elle est associée à une tradition d’ex-voto et de ferveur populaire. On y vient nombreux, surtout les jeudis et dimanches, pour s’agenouiller devant la statue de Marie, figure centrale de cette église placée sous le vocable de Notre-Dame des Grâces. Ce lieu discret, qui invite au recueillement, a toujours attiré celles et ceux qui cherchent un espace de consolation.

©Magali Girardin

Accolée à la grotte, la crypte funéraire édifiée en 1934, accueille aujourd’hui les cérémonies commémoratives. Trois vitraux contemporains signés Jean-Michel Bouchardy, peintre genevois, viennent y apporter une touche moderne. Dans l’église même, la richesse symbolique se prolonge. Le tympan extérieur, espace sculpté au-dessus de la porte, représente Marie.

À l’intérieur, la chaire figure la Vierge comme Trône de la Sagesse. Le maître-autel en marbre polychrome est orné de versets latins, résumant l’essence liturgique du sanctuaire. Sur les sept marches de l’ambon sont gravés les dons du Saint-Esprit; les trois vertus théologales — foi, espérance, charité — sont sculptées sur la façade. Même les socles des chandeliers participent de cette architecture signifiante. Une petite bibliothèque paroissiale, ouverte à tous, complète le parcours.

Une église au rythme des vies

Inscrite dans une unité pastorale dynamique (Rives de l’Aire), la paroisse du Grand-Lancy multiplie les activités pour les jeunes, les familles et les personnes en recherche. Le secrétariat de la paroisse, professionnalisé ces dernières années, gère aujourd’hui les demandes de sacrements, les intentions de messe et les nombreux enterrements célébrés dans l’église. Le carillon à dix cloches, dont une datant du XVIIIe siècle, rythme toujours les temps forts.

L’édifice, avec son acoustique généreuse et sa liturgie musicale soignée, reste un lieu de rassemblement vivant. Des projets œcuméniques sont régulièrement menés avec les paroisses protestante et catholique-chrétienne voisines, autour de thèmes communs comme la justice, la musique ou la transmission intergénérationnelle. Les prêtres et laïcs engagés se relaient pour proposer une église ouverte.

©Magali Girardin

Un équilibre entre austérité et intensité

Sobre, presque dépouillée, l’église surprend par l’absence d’ornements superflus. Ce choix assumé fait émerger avec force la présence des vitraux, des boiseries ou encore de la chaire, décorée de motifs floraux comme le lys, symbole de pureté mariale.

L’architecture néogothique, parfois critiquée pour son caractère historiciste, s’épanouit ici dans une forme allongée et élancée, à la beauté silencieuse. Cette simplicité offre un cadre propice à la contemplation.

 

Philippe Matthey
Curé de Notre-Dame des Grâces et modérateur de l’Unité pastorale

Philippe Matthey. ©Magali Girardin

Théologien de formation et homme de terrain, Philippe Matthey coordonne l’ensemble de l’Unité pastorale tout en étant curé de la paroisse du Grand-Lancy ainsi que de Plan-les-Ouates/Perly-Certoux.

Son quotidien est rythmé par les célébrations, les rencontres et les accompagnements spirituels. «Chaque jour est différent. Il faut savoir être disponible, présent, à l’écoute », nous dit-il, ajoutant que l’église Notre-Dame des Grâces accueille une communauté plurielle, intergénérationnelle, profondément ancrée dans la vie du quartier: «Nous travaillons sur demande. Les gens viennent à nous avec leurs attentes, leurs joies, leurs deuils. Cela crée une dynamique forte, vivante, incarnée.»

« Nous développons pour les jeunes adultes des modules ouverts, accessibles à tous. »

Parmi ses missions prioritaires: l’accueil des couples et des familles à tous les âges de leur vie. Avec, en ces temps, l’accompagnement des jeunes adultes: «Nous développons pour eux des modules ouverts, accessibles à tous.»

À côté de son engagement pastoral, Philippe Matthey nourrit une passion profonde pour la musique baroque. Il organise régulièrement des conférences commentées autour de Bach ou Haendel, croisant écoute musicale et méditation spirituelle. Dernièrement, il a participé à la création d’une pièce de théâtre autour de la figure du roi Salomon, toujours en écho à l’univers musical de Bach et de Haendel, une manière de faire dialoguer foi, culture et expression contemporaine.

Ce goût pour la musique le relie naturellement à Jean-Christophe Orange, organiste titulaire de l’église, avec qui il partage une même attention à la beauté comme langage de la foi.

 

Jean-Christophe Orange
Organiste titulaire et secrétaire paroissial

Jean-Christophe Orange. ©Magali Girardin

Installé à la tribune depuis presque dix ans, Jean-Christophe Orange fait partie de l’écosystème des organistes genevois, tout en gardant un ancrage profond dans sa paroisse: «Être organiste, c’est plus qu’un métier, c’est une vocation. L’orgue de Notre-Dame des Grâces m’a appris la patience, l’exigence, l’humilité.»

L’instrument, récemment restauré, est aussi un vecteur de lien : concerts, visites pour les enfants, sessions de découverte pour de jeunes musiciens… «Je travaille en réseau, avec d’autres organistes, d’autres paroisses. Mais ici, c’est spécial. Ce n’est pas un orgue d’école, c’est un orgue de prière.»

« C’est important pour moi de montrer que la musique religieuse n’est pas figée. Elle peut s’adresser à tous. Elle parle du silence, de l’écoute, de la beauté intérieure. »

Le lien entre sacré et formation musicale, selon lui, rend parfois difficile la transmission. «Aujourd’hui, beaucoup de jeunes musiciens se forment en dehors du cadre liturgique. La musique d’église leur semble lointaine. Pourtant, elle offre des possibilités extraordinaires d’expression », indique-t-il. «C’est important pour moi de montrer que la musique religieuse n’est pas figée. Elle peut s’adresser à tous. Elle parle du silence, de l’écoute, de la beauté intérieure.»

À côté de son activité musicale, Jean-Christophe Orange est aussi secrétaire paroissial. Il gère l’administration courante, mais aussi les moments de passage: mariages, baptêmes, funérailles: «C’est un service discret, mais essentiel. Il faut de la rigueur, de la douceur et une certaine endurance.»

Ce double engagement, liturgique et administratif, lui permet de garder une vue d’ensemble: «Je suis à la fois en coulisses et sur scène. Et ce que je préfère, c’est ce moment où tout converge: quand l’orgue entre dans la célébration, quand la musique devient prière. Là, tout prend sens», précise-t-il.

 

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