Parcs genevois, Les poumons verts de la ville
Lorsque les beaux jours pointent le bout de leur nez, Genevois et Genevoises aiment retrouver les nombreux poumons verts qui ponctuent leur ville. Près de 60 espaces verts publics sont répartis sur les deux rives, faisant de Genève la « cité des parcs ». Lumière sur l’histoire et les charmes de quelques-uns d’entre eux.
« Genève dispose de l’un des taux de verdure les plus élevés au monde », relève l’historien genevois Arnaud Bosch. Il est vrai que 20 % du territoire municipal de la ville est occupé par plus de 60 espaces verts publics, ce qui représente 310 hectares répartis sur les deux rives. Ces havres de paix offrent aux habitants et aux visiteurs l’occasion de se ressourcer hors de l’agitation urbaine. En plus d’être des lieux de détente très prisés, les parcs ont de multiples fonctions et recèlent de trésors, fruits d’une histoire ancienne bien conservée.
Des promenades privées aux parcs publics
Beaucoup de parcs sont en fait d’anciens domaines privés. Un grand nombre d’entre eux ont été acquis par la Ville, mais certains lui ont été légués dès le XIXe siècle par des familles. Arnaud Bosch rappelle qu’avant la Réforme, le territoire genevois était divisé en paroisses, lesquelles possédaient de nombreuses terres et des maisons. « Lors de la Réforme, tous ces biens ont été saisis par l’Église protestante. Elle les a ensuite réattribués, à la fin du XVIe, début du XVIIe siècle, aux grandes familles protestantes du coin. »
La plupart des domaines, comme celui de La Grange, avaient un usage agricole. Mais d’autres ont rapidement évolué pour devenir le lieu de promenades privées réservées à la bourgeoisie. « Elles étaient un but en soi pour se montrer, associées à un certain prestige. » Le terme de parc est quant à lui apparu plus tard, lorsque les promenades ont été ouvertes au public. Selon Arnaud Bosch, le premier parc de Genève serait l’actuelle promenade de La Treille, aussi appelée la Provence de Genève. « Les gens ne s’y rendaient pas seulement pour se montrer, mais aussi pour s’aérer. » L’historien n’est donc pas vraiment d’accord avec l’idée répandue selon laquelle le premier parc genevois serait celui des Bastions, précisant que celui-ci « était d’ailleurs tout d’abord un jardin botanique ». La partie agréments, aux Bastions, ne viendra que plus tard, à partir des années 1820-1830, « lors du réaménagement des fortifications ».
C’est aussi à cette période que les parcs vont s’ouvrir au public. Quelques jardins – comme celui des Bastions – vont être aménagés à la française, mais beaucoup d’autres le seront à l’anglaise. « Au XVIIIe siècle, lorsque les parcs étaient encore privés, le tourisme anglais était très à la mode. » Aujourd’hui, les espaces verts de la Ville sont gérés de façon écologique et la biodiversité y est favorisée.
« 20 % du territoire municipal de la ville est occupé par plus de 60 espaces verts publics, ce qui représente 310 hectares répartis sur les deux rives. »
Un panorama idyllique sur le lac
Entre l’avenue de France, la rue de Lausanne et le lac, le parc Mon Repos est particulièrement prisé pour son ambiance romantique, ses arbres centenaires et ses vues panoramiques sur le Léman. Au XIXe siècle, la famille Plantamour est propriétaire du site et construit la villa Mon Repos. Les frères Plantamour en font un lieu culturel où ils accueillent notamment Andersen et Châteaubriand. Un jardin composé de plantes rares voit également le jour. En 1898, le parc est légué à la Ville de Genève. De 1901 à 1939, la villa a abrité le musée d’ethnographie, avant de devenir le centre expérimental de la Télévision genevoise. Située en bas du parc, elle est aujourd’hui occupée par l’Institut Henry-Dunant.
Par ailleurs, le parc propose une variété d’arbres considérable. Tandis que la pataugeoire – très appréciée lors des grosses chaleurs – est entourée de palmiers, un platane centenaire semble surveiller l’embarcadère des Mouettes un peu plus bas, au bord du lac. Les floraisons sont elles aussi spectaculaires, des magnolias flamboyants au printemps aux tonalités roses et mauves des lilas des Indes en été.
« Le parc Mon Repos est particulièrement prisé pour son ambiance romantique, ses arbres centenaires et ses vues panoramiques sur le Léman. »
Les magnifiques arbres des parcs Trembley et Bertrand
Situé entre le Jardin de la Paix et la promenade Chandieu, le parc Trembley est un des plus grands parcs de la rive droite. C’est le naturaliste Abraham Trembley qui achète le domaine en 1757. La famille Trembley construit la maison de maître, aujourd’hui située à l’extérieur du parc, et plante une multitude d’arbres. La Ville devient propriétaire du domaine en 1933. Œuvre de l’architecte Roland Rohn, l’école et ses bâtiments pavillonnaires construits en 1950 permettent de valoriser le terrain en pente du parc. En 2018, l’œuvre de l’artiste Melik Ohanian, Les Réverbères de la Mémoire, est inaugurée dans le parc. Elle rend hommage aux liens unissant les Genevois aux Arméniens.
D’autres arbres centenaires peuplent le parc Trembley : des chênes, des séquoias et des cèdres, dont un cèdre du Liban qui est l’un des plus vieux de la ville. Des ormes, des pins noirs d’Autriche et des milliers de jonquilles se coloriant au printemps viennent sublimer le tout et sont particulièrement appréciés des visiteurs. Sur la rive gauche, un autre parc, presque deux fois plus grand que celui des Bastions, offre une très grande variété d’arbres : il s’agit du parc Bertrand. Au milieu de celui-ci, une allée de saules borde un étang. Mais on y trouve également des platanes, des bouleaux de l’Himalaya, des tilleuls, des marronniers d’Inde et même un calocèdre.
Située sur les hauts de Champel, la propriété a été construite au XVIIe siècle hors des murs de la ville, dans une campagne sinistre. Lorsque le quartier devient plus chic, la famille Bertrand acquiert le domaine. C’est au photographe et explorateur Alfred Bertrand que le parc doit son nom. Sa veuve en fera don à la Ville en 1940.
L’ancienne maison de maître existe toujours, mais elle a été totalement transformée et est devenue une école entourée d’un jardin fleuri. Le parc est aujourd’hui prisé par les familles pour sa place de jeux, notamment pour son emblématique pataugeoire, bordée de voiles offrant de l’ombre.
De l’histoire, mais aussi de la vie
Le parc La Grange, le plus grand de la ville, est classé monument historique. Son nom fait référence à un domaine préexistant à la villa et au parc qu’on connaît aujourd’hui. La famille Lullin, qui en devient propriétaire au début du XVIIIe siècle, puis la famille Favre, n’en modifiera pas le nom. Lequel « rappelle que ce fut un domaine agricole jusqu’au début du XXe siècle », explique Pierre Tourvieille de Labrouhe, conseiller en conservation du patrimoine de la Ville de Genève qui organise les visites du parc et de la villa.
La famille Lullin fait bâtir une maison et ses dépendances avec une architecture symétrique et un jardin conçu à la française. La famille Favre, qui rachète le domaine en 1800, va, tout au long du XIXe siècle, aménager et modifier la maison et le parc. La grande bibliothèque sera rajoutée en 1821 et la toiture de la villa abaissée en 1854. Le parc passe d’un style français à un style anglais, avec notamment l’effacement des grands parterres, la création du jardin alpin et, plus tardivement, celle de la Roseraie.
Entre 1917 et 1918, William Favre fait un leg à la ville. « Il est très précis et stipule que la villa doit être maintenue et entretenue dans son état. Quant au parc, il doit devenir public », indique Pierre Tourvieille. Ce leg est accompagné d’une volonté : que Genève puisse en faire un lieu de réception pour le Conseil administratif et, de manière exceptionnelle, pour le Conseil d’État afin d’y tenir des réceptions avec une dimension politique internationale. » C’est à la Villa La Grange qu’a lieu en 2021 la rencontre entre Joe Biden et Vladimir Poutine.
« La Roseraie a été transformée en 2021 pour devenir le Jardin de roses. »
La Roseraie a été transformée en 2021 pour devenir le Jardin de roses qui, avec ses 400 pieds de rosiers et ses 4000 plantes vivaces, attire beaucoup de monde. Le théâtre de Verdure, aussi appelé Scène Ella Fitzgerald, ainsi que la guinguette connaissent eux aussi un grand succès. « C’est un parc urbain qui vit et qui doit continuer à vivre dans le respect des arbres et plantations », estime Pierre Tourvieille.
Formant une continuité avec le parc La Grange, celui des Eaux-Vives tient son nom des nombreux ruisseaux et des sources du secteur, coulant aujourd’hui sous canalisations. Le domaine voit le jour en 1565, sous l’égide du seigneur de Bellerive. Plusieurs propriétaires se succèdent ensuite et aménagent le parc au fil du temps. En 1750, c’est la maison de maître qui est construite puis, en 1865, le futur constructeur du tunnel du Gothard, Louis Favre, rachète le domaine. Sa fille le revendra après sa mort à la Société de l’industrie des hôtels et celui-ci entrera finalement dans le domaine municipal (ancienne commune des Eaux-Vives) en 1913.
À l’image de son proche voisin, le parc des Eaux-Vives offre une variété d’arbres impressionnante. Citons pêle-mêle : des cèdres de plus de 200 ans, des chênes centenaires ou encore une forêt de hêtres en haut du parc. Dans un style différent, La Grange n’est pas en reste avec ses nombreux épineux et ses massifs de rhododendrons et d’azalées. Il ne reste plus qu’à aller s’y promener pour en découvrir la beauté.
Pierre Tourvieille de Labrouhe
Conseiller en conservation du patrimoine de la Ville de Genève
Pierre Tourvieille de Labrouhe a été nommé en 2018 conseiller en conservation du patrimoine de la Ville de Genève, qu’il accompagne dans ses projets d’entretien et de transformation de son patrimoine bâti. L’organisation des visites de la villa et du parc La Grange fait partie du cahier des charges de son équipe. Les cinq éditions printanières de visites qu’il a organisées ont été couronnées de succès : « C’est assez impressionnant, les réservations font le plein en à peine deux jours. » Et visiblement, toutes les générations se pressent pour découvrir les lieux.
Qu’est-ce qui explique cet attrait pour La Grange ? « C’est un cadre absolument exceptionnel et calme. » À titre personnel, Pierre Tourvieille l’affectionne particulièrement au quotidien et il remarque régulièrement à quel point les Genevois l’investissent. « Je suis ébloui de voir toutes les activités que l’on peut déployer à partir du moment où il y a une pelouse et un espace protégé de la circulation. »
Mais au-delà du parc, la villa attire également, notamment car elle représente un lieu de pouvoir. « Elle est entourée d’une espèce d’aura et c’est aussi ce qui fascine les visiteurs. Il y a une envie de découvrir des lieux où de grandes décisions politiques peuvent être prises. Depuis la tenue du sommet Biden-Poutine, cette curiosité est encore plus présente. »
Malgré les connaissances que l’on a de cette villa, certaines choses restent mystérieuses, comme le nom de son architecte. « Nous avons mandaté un historien pour retracer l’histoire de la villa. On connaît bien la ferme, le parc et les pièces que l’on fait visiter (ndlr : réception, chambres, bibliothèque), mais, dans son entièreté, elle n’a pas été étudiée de manière exhaustive. » Cette recherche permettra également de mieux comprendre l’évolution de l’édifice entre le XVIIIe et le XIXe siècle. Une numérisation globale de la villa avec la réalisation d’un double numérique aura par ailleurs lieu prochainement grâce à des outils comme la photogrammétrie : « On pourra ainsi mieux envisager son entretien et son évolution. »
Au niveau patrimonial, le domaine représente un ensemble qui a été conservé dans ses dispositions du XIXe siècle. « Il permet au public de voir ce qu’était un domaine à cette époque-là sans qu’il y ait d’atteintes particulières. » La villa continue par ailleurs de fonctionner « un peu comme à l’époque ». Mis à part les combles qui ont été aménagés pour que le Conseil administratif puisse y tenir ses séances, les grands salons, la bibliothèque, les chambres ou encore une partie des sous-sols ont été conservés : « Cette manière d’habiter était celle des familles patriciennes. »
« Je suis ébloui de voir toutes les activités que l’on peut déployer à partir du moment où il y a une pelouse et un espace protégé de la circulation. »
Arnaud Bosch
Historien indépendant et conférencier spécialisé dans l’histoire genevoise, fondateur des Apéros de l’Histoire
L’historien genevois Arnaud Bosch nous livre quelques anecdotes insolites en lien avec les parcs. Il commence avec celui de Mon Repos. « En fait, il a été le premier à permettre aux Genevois un accès aux quais et a donc un statut important. » Tout en rappelant que, jusque dans les années 1930, les promeneurs ne pouvaient tout simplement pas accéder aux rives du Léman : le bord du lac était une succession de vastes domaines aux mains de familles patriciennes. « La maison Mon Repos a quant à elle été fréquentée par un certain Casanova au XVIIIe siècle », avant Andersen et Châteaubriand, donc. Par ailleurs, le parc a failli être rasé par Le Corbusier, « qui avait le projet de créer une bretelle de semi-autoroute partant de la rue de Lausanne pour rejoindre le pont du Mont-Blanc ». Le projet a finalement pris l’eau.
Les anecdotes nous conduisent maintenant du côté du parc Trembley. Arnaud Bosch relève que son premier nom, Moillebeau, était dérivé de mouille bottes. La raison ? « C’était une région assez marécageuse ». Quant au zoologue Abraham Trembley, qui a racheté le parc et lui a donné son nom actuel, il est avant tout reconnu pour ses interventions sur les hydres : « Il en est devenu le grand spécialiste mondial. »
Direction le parc Bertrand, qui s’inscrit dans une démarche de revitalisation des ruisseaux déployée par la Ville (on peut citer le récent exemple de la Drize). « On le sait très peu, mais le Nant Jargonnant prenait sa source dans le parc Bertrand et rejoignait le lac en passant par la rue de l’Évêque et la rue de la Scie, qui porte ce nom car une scie était activée par le ruisseau qui passait par là. » L’eau ne coule plus aujourd’hui et le ruisseau a été enterré depuis de nombreuses années, « mais il y a cette volonté de réinjecter de l’eau à l’extérieur pour refaire naître ce Nant ».
Place enfin au destin quelque peu différent du parc des Eaux-Vives : « Lorsque la Société de l’industrie des hôtels a récupéré la maison de maître, ils en ont fait une pension. Le restaurant de l’hôtel des Eaux-Vives va très bien marcher et, très contente de cette réussite, la société va aménager un Luna Park. » Avec théâtre, toboggan, train miniature, ménagerie… « Les habitants ne vont pas apprécier la dénaturation de leur parc. » En 1913, la commune des Eaux-Vives rachètera le parc par le biais d’une tombola, à la suite de la faillite du Luna Park.
« Genève dispose de l’un des taux de verdure les plus élevés au monde. »