Les Rues-Basses, le haut lieu du luxe à Genève

11 décembre 2017
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À Genève, deux longues artères se partagent le privilège de porter le titre de Rues-Basses. Situées sur la rive gauche de la rade depuis le prolongement du pont du Mont-Blanc et de celui de l’Île, elles forment un quadrilatère au sein duquel se côtoient tous les symboles du luxe et de l’élégance. Durant la période des fêtes de fin d’année, ce quartier est très animé, ses rues sont enluminées de guirlandes et les vitrines des magasins sont décorées avec beaucoup de soin pour attirer les chalands.

En cette fin d’année 2017, les artères emblématiques de la cité de Calvin revêtent tous leurs atours. Les commerçants et les autorités politiques de la ville déploient des efforts conjugués pour attirer le regard et susciter l’envie des badauds. Ce spectacle commence à l’ouest au niveau de la rue de la Monnaie, dans le prolongement du pont de l’Île, pour s’achever, du côté est, à la rue Pierre-Fatio, un peu en amont du pont du Mont-Blanc. Ce quartier est délimité par deux longues artères rectilignes situées au bas de la colline sur laquelle fut bâti le bourg historique de la cité. La plus proche de la rade porte le nom de rue du Rhône, car c’est d’ici que le lac se rétrécit pour reprendre son lit de fleuve.

L’autre grande artère longiligne qui délimite le quartier porte en fait cinq dénominations distinctes. Quand on quitte le passage de la Monnaie qui prolonge le pont de l’Île, on rejoint le premier tronçon, qui a été baptisé rue de la Confédération, probablement en souvenir du rattachement de Genève à la Suisse, en 1815. On arrive vite à la place de la Fusterie, qui tire son nom des fûts que les artisans y fabriquaient et entreposaient. Cette même voie devient la rue du Marché jusqu’à la place du Molard quand on se dirige vers le rondeau de Rive. De là, elle prend le nom de rue de la Croix-d’Or, en l’honneur d’une hôtellerie rendue célèbre par Antoine Froment, un des trois précurseurs de la Réforme à Genève. Cette dénomination s’interrompt à la troisième grande place du quartier, celle de Longemalle, ainsi nommée en souvenir d’une maison appelée Longimala, qui fut achetée en 1278 par l’évêque Robert de Genève à un certain Simon, évêque d’Aoste. Le dernier tronçon a été baptisé rue de Rive jusqu’à la rue d’Italie, puis cours de Rive, là où elle s’élargit pour achever son parcours au rond-point (ou glacis) de Rive. Avec 4300 passants par heure, la rue du Marché est la plus passante de Genève, devant la rue de Rive (3800 p/h) et celle de la Confédération (2450 p/h).

Des galeries qui relient les deux artères majeures du quartier

C’est de son passé médiéval que la Basse-Ville a hérité de passages qui incitent les piétons à découvrir les secrets les mieux gardés des lieux. Ils ont survécu aux transformations et reconstructions des anciennes bâtisses. Ils offrent une escapade discrète au cœur des bâtiments du quartier et permettent de s’imprégner de l’atmosphère si particulière qui y règne. Certaines des rues sont suffisamment larges pour y aménager des boutiques, alors que d’autres sont plus intimistes.

Place de la Fusterie

On ne sort pas indemne d’un périple dans ces galeries couvertes – appelées en leur temps alliouz. Certaines sont très connues, comme le passage des Lions, le passage Malbuisson ou Longemalle, avec leurs boutiques de luxe, alors que d’autres sont étroites et plus ternes. Au passage Malbuisson, un carillon égrène le temps pendant qu’un cortège de petits personnages habillés avec des armures de l’Escalade défile au son de la musique, à la grande joie des enfants et des touristes.

Une longue flânerie au royaume du luxe

La déambulation dans les Rues-Basses est propice à la flânerie et au shopping. Aucun obstacle ne rebute les piétons à aller d’une vitrine à l’autre. Les grandes marques y ont pignon sur rue. A la rue du Rhône, le prix du mètre carré compte parmi les plus élevés de Suisse, en concurrence directe avec celui de la Bahnhofstrasse de Zurich. Si l’on y trouvait encore au milieu du siècle dernier plusieurs petites échoppes d’artisans et des magasins mythiques, tels que le Bazar de l’Hôtel-de-Ville et plus tard l’Uniprix, le caractère populaire du quartier ne se retrouve que sur les anciennes cartes postales.

Passage Malbuisson

Certaines arcades résistent, comme celle du magasin de jouets Franz Carl Weber, située à la rue de la Croix-d’Or. Il en va de même de celle de Davidoff, désormais orpheline de son mémorable patron, Zino de son prénom, ou la Boucherie du Molard, qui n’a pas bougé de la rue du Marché depuis bientôt un siècle. Même la Chemiserie Centrale conserve pignon sur rue à quatre adresses des Rues-Basses en misant sur la vente de produits de marques prestigieuses.
Au début de la rue du Rhône, aucun Genevois de pure souche ne manquerait le magasin de chaussures appartenant à la famille Aeschbach, qui se trouve au même endroit depuis plusieurs générations.

Quand le cœur de la ville se réveille

Dès l’instant où l’on s’aventure dans les ruelles qui relient les deux grandes artères de la ville, le paysage change. C’est un Genève plus près de sa population que l’on redécouvre au cœur de ce quartier. Les petits magasins de mode vestimentaire font florès et les restaurants attirent une clientèle à l’accent bien genevois. Des habitués s’y donnent rendez-vous pour parler du bon vieux temps. Le prix des articles vendus dans ces arcades moins ostentatoires devient brusquement plus abordable et l’on y trouve de belles tables.

Avec une telle affluence de consommateurs déambulant dans les rues, les effluves de chocolat sont incontournables. Plusieurs artisans genevois, tels que Martel, rivalisent de talent. Celui-ci a ouvert sa première enseigne à Carouge en 1818, avant de s’installer à la rue de la Croix-d’Or. Chez la famille Rohr, présente à la rue du Molard, la tradition se perpétue depuis que Hans a repris le fond de commerce de son patron en 1936, au boulevard du Pont-d’Arve.

Chez Auer, installé à la rue de Rive depuis 1939, on en est à la cinquième génération. Les autres enseignes ont pour nom La Bonbonnière, qui propose ses pavés à la rue de Rive, la Chocolaterie du Rhône dans la rue de la Confédération et Zeller qui propose ses fameux pavés, truffes et pralinés depuis 1959 place Longemalle.

Même le géant industriel suisse alémanique Sprüngli s’est installé à la rue du Marché. Il a rejoint son confrère glaronais Läderach, qui trône dans la même artère. Le dernier arrivé nous vient d’outre-Jura : il s’agit de Philippe Pascoët, qui a pignon sur rue dans le passage des Lions.

Une évolution urbaine tout en douceur

Même si les changements architecturaux ne révolutionnent pas fondamentalement la physionomie des Rues-Basses, le quartier se modernise par touches successives. Après des années de travaux, l’immeuble phare du Credit Suisse situé à la place Bel-Air a achevé sa mue en 2014, ses autres bâtiments des Rues-Basses prenant le relais dans la foulée. Le dernier chantier en date de la banque, celui de la transformation de son immeuble de la rue de la Monnaie, vient de s’achever. La surface destinée aux arcades commerciales y est passée de 400 à 1900 mètres carrés.

L’autre grand chantier qui a marqué le quartier pendant de nombreuses années concerne le vaste projet de reconstruction d’un immeuble situé du 4 au 14 de la rue du Marché qui permettait d’atteindre précédemment, depuis cette rue, les célèbres établissements Le Radar et La Crémière. On y trouve désormais des commerces au rez-de-chaussée, une résidence hôtelière comportant 75 studios et deux-pièces sur six niveaux, ainsi que sept appartements en attique. Le passage traversant sous l’immeuble n’a en revanche pas survécu.
La fièvre hôtelière semble faire tache d’huile dans le quartier, en particulier avec l’annonce de la rénovation d’un immeuble, toujours à la rue du Marché, qui sera transformé en hôtel de charme qui devrait compter 144 chambres. Une société zougoise devrait débourser 30 millions de francs dans cette opération.

A la place Longemalle, le célèbre hôtel éponyme, voisin de celui tout autant illustre de la Cigogne, vient de fermer provisoirement ses portes le temps de la rénovation qu’il va subir. Ici, pas question d’opération trop lourde, mais uniquement de la réfection de la façade et de toutes les chambres qui vont être remises au goût du jour et adaptées aux besoins actuels de la clientèle. Dans la foulée, les installations sanitaires seront aussi entièrement modernisées. Etant donné qu’il s’agit d’un bâtiment historique, l’accent sera mis sur la mise en valeur des matériaux existants.

Quant aux grands chantiers à venir, on ne peut passer sous silence la grande mue de Confédération Centre, construit il y a une trentaine d’années. Les travaux de rénovation consisteront à remodeler les espaces des étages commerciaux, à transformer la marquise et à installer des portes d’entrée automatiques. Les escaliers roulants seront déplacés afin de décloisonner l’espace intérieur du passage qui sera maintenu à l’abri des intempéries. Enfin, de gros efforts seront déployés dans le domaine de l’aménagement intérieur puisque le bois remplacera le marbre pour conférer au lieu une ambiance plus chaleureuse.

La Grande Boucherie du Molard
Une présence bientôt centenaire dans les Rues-Basses

Créée en 1921 par un certain Bovagne et son associé Duret, la Grande Boucherie du Molard trône au cœur de la rue du Marché comme une institution incontournable du quartier. En 2007, une société anonyme détenue par les cadres et quelques employés est constituée autour de Serge Belime, qui occupait la fonction de directeur depuis 2000, pour relancer l’activité du commerce. Au total, la boucherie emploie une cinquantaine de personnes, dont la moitié à la rue du Marché. La viande de bœuf et d’agneau de différentes provenances la démarque de ses concurrents.

Serge Belime sélectionne des vaches à vocation mixte (viande et lait), telles que la Simmenthal, qui sont riches en gras persillé, connu pour apporter du goût à la viande. « Les vaches que nous choisissons pâturent au grand air et mangent du foin plutôt que du maïs, qui est plus gourmand en eau », précise Serge Belime. « C’est notre contribution à la protection de l’environnement. »

Serge Belime

En plus de ses produits de boucherie typiques, le magasin agrémente ses étals de produits de charcuterie régionaux (p. ex. la longeole), de terrines ainsi que de plats du jour, de préparations, de salades et même de plats végétariens. Une logistique bien rodée assure leur livraison en une heure dans la ville de Genève. La boucherie a par ailleurs repris en 2000 l’activité d’épicerie fine de Caviar House pour étoffer son assortiment de produits. « On reste pourtant une petite entreprise qui fonctionne comme des artisans de produits de qualité », précise Serge Belime, qui a hérité ce virus de son grand-père, boucher de profession, et de son père, maquignon. Il est surtout fier de ses « soirées des carnassiers » qu’il organise régulièrement et au cours desquelles il propose des dégustations de différentes sortes de viandes et de produits fabriqués par ses soins.

La cordonnerie de Longemalle
L’art de trouver chaussure à son pied

C’est un peu par hasard que Yohan Seror s’est installé dans les Rues-Basses après avoir effectué son tour de France, qui dura 7 années, en tant que compagnon du devoir. Ce périple l’a amené à apprendre sur le tas le métier de bottier. Il est arrivé en Suisse d’abord pour travailler dans un atelier d’orthopédiste à Carouge. En 2003, désirant se mettre à son compte, il achète une cordonnerie située à la rue Maunoir. Le succès aidant, il acquiert une arcade plus vaste en 2010, à la rue des Marronniers, où il occupe jusqu’à quatre employés. La même année, son collègue Jean-Pierre Betto, sur le point de partir à la retraite, lui propose de reprendre sa boutique située au passage de Longemalle ainsi qu’un atelier à la rue des Vollandes. Aujourd’hui, Yohan Seror emploie douze ouvriers dans ses deux cordonneries et il a investi 100 000 francs dans la rénovation de l’ancien local de Longemalle. Une cloison vitrée permet de voir ses ouvriers s’affairer à leur travail et une panoplie d’outils traditionnels du bottier trône en bonne place, en souvenir de ses premiers pas dans le métier.

Yohan Seror

Ses ouvriers sont passés maîtres dans la réalisation de tous les travaux sur les chaussures, qu’il s’agisse de changer une semelle ou un talon, de les revernir, de renouveler les fermetures éclair de bottines, de les agrandir et même de les lustrer. « Les gens ont parfois une affection incroyable pour leurs chaussures », reconnaît volontiers Yohan Seror. « Quand elles sont bien formées à leur pied, ils préfèrent les donner à réparer plutôt que d’en acheter une nouvelle paire qui pourrait s’avérer moins confortable. »

La coutellerie Orso
Une émouvante histoire de famille

C’est en 1939 que Pierre Orso, un rémouleur d’origine piémontaise, débarqua à Genève et ouvrit une coutellerie à la rue Rousseau. Six ans plus tard, l’atelier de Saint-Gervais déménageait à la rue du Prince, où l’arcade de la coutellerie Orso résiste à la pression des grands magasins. Catherine Orso, petite-fille du fondateur, tient les rênes de l’entreprise depuis le décès de son père en 2012. Aujourd’hui, les activités de la coutellerie se sont enrichies de la vente d’articles de table avec l’ouverture d’une seconde arcade située à quelques mètres de celle d’origine. Mais la patronne du magasin, qui a baigné dans ce milieu depuis sa plus tendre enfance, reste fidèle aux préceptes de ses fondateurs. Elle privilégie le travail de belle facture, collabore de préférence avec des artisans locaux et oriente son activité sur les articles de collection. Elle estime à plus de 10 000 les articles qu’elle stocke dans ses rayons.

Catherine Orso a hérité de la passion de ses ancêtres pour les beaux objets. « Je privilégie toujours la qualité », précise-t-elle. Elle aime conseiller et aider les gens qui passent la porte de son échoppe. « Les gens ne connaissent pas la qualité réelle des objets qu’ils ont en main », regrette-t-elle. Elle leur explique l’intérêt qu’il y a à bien aiguiser leurs couteaux, à les réemmancher et les polir lorsque c’est nécessaire. Elle les conseille sur la manière de les nettoyer pour qu’ils ne s’abiment pas.

Catherine Orso

Elle regrette que les modestes arcades laissent la place à de grandes enseignes prestigieuses. « Les petits magasins ne sont pas tellement soutenus », déplore-t-elle en égrenant le nom de ceux qui ont fermé boutique au cours de ces dernières années. « Il faut tout faire pour que Genève conserve son âme », plaide-t-elle.

Molard Jouets
Un plongeon dans l’univers ludique

Jean-Daniel Schneider tient sa boutique de modèles réduits à la rue Neuve-du-Molard depuis 1965 déjà. Le voilà donc aux premières loges pour analyser les changements de comportement de sa clientèle. Les drones grand public ont naturellement trouvé leur place à côté des voitures et bateaux télécommandés. Actuellement, c’est le modélisme technique qui marche le mieux. Ce choix amène les passionnés à venir lui demander ses conseils et petites astuces. Lui-même reste ainsi en immersion dans un univers qu’il affectionne particulièrement. C’est du reste ce qui, tous les matins, l’incite à rejoindre son arcade, laquelle ressemble à une véritable caverne d’Ali Baba. Des piles de coffrets multicolores s’entassent sur les rayons. Il les estime à plusieurs milliers, mais reconnaît qu’il ne les a pas recensées, car il ne se dépeint pas comme un homme d’affaires, mais comme un être humain qui adore établir des contacts avec les autres.

Jean-Daniel Schneider

Les passionnés de modélisme sont soucieux des moindres détails : la qualité de la matière, la teinte d’une peinture, le réalisme des détails. « Malgré Internet, les gens préfèrent encore venir me voir, écouter mes remarques avisées et me faire confiance », relève-t-il, l’œil qui pétille quand on le pousse à parler de sa passion. « J’aide les gens à aller au bout de leurs rêves. » On remarque immédiatement que c’est là le moteur de son quotidien. « La technologie a beaucoup évolué au cours de ces dernières années », poursuit-il en admettant quand même que la conjoncture n’est plus aussi favorable qu’à une certaine époque. « Je fais un métier qui nous remet tous les jours en question. »

Son esprit curieux et à l’affût des nouveautés l’a poussé à franchir un pas en avant en ouvrant une cyberboutique. Celle-ci lui permet de rester en contact avec une clientèle plus jeune et d’attirer des clients qui n’habitent pas dans le quartier. Il prolonge ainsi ses activités sur la planète Internet et sur Facebook.

 

Photos de Magali Girardin

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